Girlcott à Angoulême

Tintin et Astérix en PLS

Depuis un an, le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême traverse une crise sans précédent. Après le scandale du licenciement d’une employée dénonçant un viol, les autrices de BD sont montées au créneau. Un girlcott qui a mené jusqu’à l’annulation de l’édition 2026.

« L’histoire de Chloé a été l’étincelle. La gestion désastreuse d’une affaire de viol, avec une sanction contre la victime : c’est ce qui a mis le feu aux poudres. Et il y avait un énorme tas de poudre », confie l’autrice Noémie Fachan. L’affaire est révélée par une enquête publiée dans L’Humanité : alors qu’elle avait dénoncé un viol durant le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD), Élise Bouché-Tran, alias Chloé, se fait licencier par la société organisatrice de l’évènement 9e Art+. Rapidement, d’autres problématiques, déjà dénoncées, refont surface : violences sexistes et sexuelles, management toxique, opacité financière, sous-représentation chronique des autrices… Avec la reconduction de la société 9e Art+ à la direction du festival pour l’après-2027, les appels au boycott se multiplient. Auteur·ices, éditeur·ices indépendant·es puis grands groupes se retirent. Jusqu’à Anouk Ricard, Grand prix 2025, qui refuse l’exposition qui devait lui être consacrée. En novembre, l’édition 2026 est finalement annulée. Pour la première fois, le mythique festival de BD est mis à l’arrêt sous la pression d’une mobilisation des travailleur·euses féministes.

La BD est un véritable vivier pour la pensée féministe. « Les femmes et les personnes sexisées ont toujours été là, mais dans l’ombre »

Pour les professionnel·les du livre, l’affaire Chloé est un point de non-retour. « On savait que 9e Art+ était problématique, mais là c’est devenu impossible à cautionner », tranche Mélanie Deneuve, éditrice chez Même pas mal. À la violence institutionnelle du festival s’ajoute la précarité de la profession : « Il n’existe pas de statut pour les auteur·ices. Au FIBD, quand tu as un prix, tu n’as pas de dotation financière alors que les petits festivals indés arrivent à le faire ! » s’indigne Mélanie Deneuve. Pour Noémie Fachan, cette fragilité économique explique aussi la difficulté à mener des actions : « Renoncer à une occasion de faire connaître son travail, même non rémunéré, c’est dur. »

La révolution féministe se dessine

Malgré cela, des autrices décident de s’organiser rapidement et créent un groupe WhatsApp. Le mot d’ordre ? « Bazarder ce festival », raconte Salomé La Hoche, autrice de BD. Le mouvement se construit hors des cadres traditionnels, sans les syndicats : « On ne savait pas par où prendre les choses. Les autrices ont fait le travail, elles ont assuré », souligne Mélanie Deneuve, pour qui la médiatisation de l’affaire a joué un rôle clé. Salomé La Hoche se souvient : « Je pensais que le festival aurait lieu mais qu’il serait déserté. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit annulé. » Mais pour Thomas Figuières, libraire, l’absence des auteur·ices au FIBD, qui attire habituellement le public grâce aux innombrables séances de dédicace, a été déterminante : « Iels sont le moteur du festival. Ça leur a donné du poids.  »

Surtout, la BD est un véritable vivier pour la pensée féministe. « Les femmes et les personnes sexisées ont toujours été là, mais dans l’ombre  », rappelle Noémie Fachan. « Un stylo, une feuille, tu peux créer. Ça laisse la place à des voix différentes, aux meufs bizarres qui ne rentrent pas dans les codes du patriarcat », observe Salomé La Hoche. Si le 9e art attire les autrices par son accessibilité, il en est de même pour le public, qui peut avoir accès à des concepts politiques : « La BD, personne n’en a peur. C’est un outil puissant pour faire passer des idées », analyse Noémie Fachan.

Si le FIBD n’aura pas lieu cette année, d’autres initiatives ont été lancées : un festival off est prévu sur place et dans plusieurs villes de France, des « Fêtes interconnectées de la Bande Dessinée » s’organisent via le girlcott. Bien que l’annulation du festival reste une décision coûteuse, notamment pour les libraires et les petites structures, elle ouvre des perspectives nouvelles. « C’est un lourd prix à payer, mais c’est ce qui a été trouvé de plus efficace pour renverser un système toxique », déplore Noémie Fauchan. Pour Salomé La Hoche, et toutes celles qui se sont engagées dans cette lutte, la conclusion est la même : « Quand on se met toutes ensemble, on y arrive. »

Thelma Susbielle

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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CQFD n°248 (janvier 2026)

En Syrie, les Druzes de Soueïda continuent de se battre pour l’indépendance après la chute de Bachar al-Assad : iels nous racontent leur méfiance vis-à-vis du nouveau pouvoir en place. En France, si on n’a pas été choqué-es que l’Etat et les fachos s’engouffrent dans la brèche guerrière du moment, quand la gauche s’y est mise, on a eu du mal à avaler la pilule. Entre réarmement démographique et le Service national universel, des gens qu’on pensait camarades se sont dit prêts à prendre les armes. Chez nous, c’est pas question. Pour s’en échapper, on s’est plongé dans des supers bouquins et ça nous a inspiré : rencontre avec Wendy Delorme, autrice de romans d’anticipation queer et écolo, entretien avec Benjamin Daugeron qui raconte l’alcoolisme de son père dans Treize années à te regarder mourir et analyse du Girlcott qui a mené à l’annulation du Festival de BD d’Angoulême.

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Paru dans CQFD n°248 (janvier 2026)
Dans la rubrique Culture

Par Thelma Susbielle
Illustré par Rémy Cattelain

Mis en ligne le 29.12.2025