Sa fé réfléchir…
Nationaliser l’énergie
Dans le secteur de l’énergie, cette rentrée est bien remplie. Préparés depuis trois mois à lancer une grève d’ampleur, les énergéticiens sonnent le clairon de la mobilisation dès le 2 septembre en totalisant 250 piquets partout en France. À Marseille, c’est sur le site d’Enedis, boulevard Gueidon, que se construit jour après jour ce qui ressemble de plus en plus à une installation de festival : canapés et fauteuils, coin hamacs pour passer les nuits, frigo, gazinière, bar, table de réunion pour les banquets barbeuc et, inévitablement, brasero à l’entrée sur fond de drapeaux CGT, piqués sur des pneus dressés en haie d’honneur. Forcément à CQFD, on y a pas mal traîné.
« L’argent ne partait pas pour enrichir les actionnaires, il était réinvesti pour construire les moyens de production »
Plus que les soirées match au vidéoproj’, ce qui nous a vraiment enjaillés, c’est le caractère de leur grève, plus politique qu’à l’accoutumée. Ils exigent l’alignement de leur grille de salaires sur l’inflation, mais pas seulement : également l’abrogation d’une mesure survenue sournoisement cet été qui fait passer la TVA sur l’énergie de 5,5 % à 20 % et qui promet d’exploser la facture des usagers. Mercredi 17 septembre, veille de journée de grève nationale, le piquet a même organisé une soirée projection du film Main basse sur l’énergie, de Gilles Balbastre (2019). Une pépite made by la FNME-CGT, qui raconte comment le patronat, aidé de l’État, se saisit de la mine d’or que représente la production d’énergie en France. L’occasion de débattre : la nationaliser oui, mais sous le contrôle de qui, de l’État, ou des travailleurs ?
Dans le film, des syndiqués CGT sont déguisés en pontes de la mafia. Autour d’une table, ils comptent leurs billets. Ils acclament à la télé les ministres de tous bords, qui se succèdent depuis 2012 dans un même acte de communion : saucissonner le monopole d’État de l’énergie, conquis en 1946 par le vénérable Marcel Paul, ministre PCF de la Production industrielle. Objectif : en vendre (pas cher) des parts (très lucratives) au privé. Ouvrant le débat sur le piquet, un ancien du PCF se lève furibard : « Et si je comprends bien, l’État va ensuite racheter cette électricité au privé, qui n’a rien fait pour la produire et qui en fixe tranquillement les prix ? ! J’attends de vous des explications ! ». Géraldine, à la tribune, lui répond. Avec la construction européenne, la France s’est vue contrainte de vendre ses monopoles, jugés « déloyaux » vis-à-vis de la concurrence. « Alors que tout ce que notre entreprise a construit pendant 80 ans, ce sont les Français qui l’ont payé avec leurs impôts. Cet argent-là ne partait pas pour enrichir les actionnaires, il était réinvesti pour construire les moyens de production : centrales thermiques, nucléaires, hydrauliques. Ces biens, ils appartiennent aux Français. Comme leur appartenaient les autoroutes. »
Le film raconte aussi l’histoire de l’éolien comme une véritable ruée vers l’or, Total en première ligne. Cette « énergie verte » permet non seulement au géant du pétrole un bienvenu greenwashing, que l’État applaudit des deux mains, mais lui octroie aussi d’utiles « bons à polluer » pour ses activités moins eco-friendly. « L’hydraulique aussi a été l’objet de convoitise, explique un moustachu à la tribune. Et pas des moindres : c’est le seul vrai moyen de stocker de l’énergie. L’eau retenue dans les barrages est en réalité de l’électricité potentielle avant qu’on ouvre les vannes. Évidemment, le privé voulait les barrages, pour pouvoir refuser de les faire tourner, et ainsi spéculer et faire grimper les prix. Mais grâce aux travailleurs du secteur qui ont lutté sans merci, ils ont abandonné ». Acclamations dans l’assistance.
Nationaliser, c’est aussi s’assurer du bon entretien des infrastructures. « L’État avait provisionné une somme pour 40 ans d’entretien du réseau de gaz. Après l’entrée d’actionnaires privés au capital, cette enveloppe a été étalée non plus sur 40 ans, mais sur 100 ans. Ils ont aussi drastiquement réduit le nombre d’agents sur le terrain, augmentant de fait tous les délais d’intervention en cas de fuite de gaz », explique Renaud Henry, secrétaire général de la Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT de Marseille. « Plus que de changer de statut pour redevenir un EPIC [Établissement public d’intérêt commercial], on veut être une instance de lien avec les usagers pour que les décisions soient prises démocratiquement. Il va y avoir de grandes décisions à prendre ces prochaines années, sur la transition écologique et énergétique. »
Nationaliser, ça tombe sous le sens. Mais comment s’assurer que le pouvoir de décision restera entre les mains des travailleurs et des usagers ? Peut-on vraiment espérer qu’il fera de l’énergie un bien de première nécessité, gratuit pour les usagers ? Pourra-t-on refuser d’alimenter les entreprises qui produisent des armes ? Comment penser un modèle, non pas national, mais internationaliste de l’énergie, qui mettra fin à la concurrence des travailleurs, et à l’exploitation de ceux qui, dans les « anciennes » colonies françaises, triment pour extraire des mines le précieux uranium nécessaire au nucléaire ?
La soirée, riche en débats et en paëlla, se termine tard. Et confirme que la grève, en plus de bloquer l’économie, a ce pouvoir magique de débloquer les consciences.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°245 (octobre 2025)
Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.
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Paru dans CQFD n°245 (octobre 2025)
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Mis en ligne le 25.10.2025
Dans CQFD n°245 (octobre 2025)
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