Raides sur les ondes

La boutanche au féminin

Qu’ont-elles à dire, les femmes qui boivent  ? En s’interrogeant sur sa propre consommation et en partant à la rencontre de celles qui arrêtent comme de celles qui savourent encore, la réalisatrice sonore Juliette Boutillier a ausculté pour France Culture ces pratiques et leurs stigmates.
Illustration de Pole Ka

« Ce qui est sûr c’est que quand on boit, on n’est pas en train de s’occuper des autres : c’est de soi-même qu’on s’occupe, c’est soi-même qu’on soigne, qu’on soutient ou qu’on détruit. Mais en tout cas on n’est pas tourné vers les autres […]. Donc déjà, pour une femme, ça, c’est toujours problématique. » Virginie Despentes envoie, comme à son habitude, du lourd. Elle dissèque les injustices et les reproches subis par les femmes qui picolent, forcément plus jugées, forcément plus honteuses, et raconte sa propre consommation, qu’elle a stoppé net à trente berges, âge où elle apprend à vivre avec une nouvelle personne : elle sans l’alcool.

« Des femmes qui boivent ». Quatre épisodes radiophoniques d’une heure – diffusés sur France Culture – au cours desquels Juliette Boutillier tient en filigrane son journal de bord, mêlant sorties au bar et réflexions sur la bouteille. Le déclic ? Sa fille lui a reproché de forcer un peu trop sur l’apéro. La documentariste part donc interroger, avec toujours beaucoup de finesse, Virginie Despentes et des dizaines d’autres aficionadas de la bibine. Certaines racontent l’alcool qui prend le pas sur tout – la dignité, la santé, les amours. D’autres, et parfois les mêmes, disent aussi la joie, trouvant dans l’ivresse, l’une des rares échappatoires aux normes sociales, qui pèsent particulièrement sur les femmes. « Ça apporte une forme d’insouciance, distiller le réel mais sans le fixer, c’est peut-être ça la définition de la légèreté. »

Sans morale lourdingue ni conclusions hâtives, on écoute des femmes de tout âge : des nouvelles abstinentes, les membres d’un groupe de parole du Nord, des couples, une psychologue, une anthropologue, des archives de Marguerite Duras aussi – forcément –, qui relate ses six litrons de vin quotidiens. En miroir, Roxanne, une des femmes interviewées, raconte les secondes défilant sur son application qui comptabilise son temps sans « le produit » – seconde après seconde, ça aide à tenir : ne pas lâcher maintenant. Elle va passer, cette envie de vin blanc. Du corps qui pâtit à la sexualité, de la misogynie paternaliste au temps retrouvé quand on arrête, de la honte de soi au désarroi d’être celle qui aime une personne dépendante, la série démystifie, nuance et prend le temps de la complexité. Despentes, encore, pour finir comme on a commencé : « Il n’y a pas de grand risque à aller mieux. » Et c’est à nous de voir comment.

Margaux Wartelle

« Des femmes qui boivent » (novembre 2021), série radiophonique en quatre épisodes, de Juliette Boutillier. « LSD, La Série Documentaire », sur France Culture.

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CQFD n°211 (juillet-août 2022)

Dans ce numéro d’été à visage psychotropé, un long et pimpant dossier « Schnouf qui peut » qui se plonge dans nos addictions, leurs élans et leurs impasses. Mais aussi : un reportage sur la Bretagne sous le joug d’une gentrification retorse, une analyse du quotidien de sans-papiers vivant « sous la menace », le récit d’une belle occupation d’usine à Florence, des jeux d’été bien achalandés, des cuites d’enfer, la dernière chronique « Je vous écris de l’Ehpad », des champignons magiques gobés avec des écrivains...

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