Sur la trace de ses (âmes) sœurs de plainte
Briser le silence avec un micro
Sur la route d’un week-end dans le Verdon, la radio est allumée. Aux infos cette année-là, il est notamment question de l’affaire Outreau. Sur la banquette arrière, Léna apprend ce que veut dire le mot viol. Elle arrive alors à formuler ce qui lui arrive. « Je savais qu’il fallait pas le dire mais je savais pas pourquoi et je savais pas ce que c’était. J’ai parlé à partir du moment où j’ai compris ce que c’était et c’était grâce à la radio ». Elle parle, mais on l’entend à moitié. Plus tard, une autre victime, devenue adulte, porte plainte. Finalement plusieurs enfants sont concernés, un procès a lieu en 2009, aux assises. L’agresseur est condamné.
Retour sur la bande FM. Léna Rivière est aujourd’hui réalisatrice à Radio Grenouille, dans le quartier de son enfance, la Belle-de-Mai à Marseille, à quelques rues de l’appartement où son beau-père l’a agressée pendant plusieurs années. Elle décide d’entamer un travail de reconquête, par la radio. Interroger ses proches d’abord, frère, sœur, belle-mère et surtout, son père, qui ouvre le documentaire dans un bouleversant dialogue avec sa fille. Les mots sont mis sur la culpabilité de n’avoir pas plus agi, mais aussi sur ce qui reste d’une relation et sur la place du pardon.
Il en sera beaucoup question, du pardon. Pas à l’agresseur mais à l’entourage. À soi-même aussi. Parmi les autres victimes, rencontrées au procès ou à l’occasion du documentaire, Charlotte, aujourd’hui mère, se demande si elle aurait pu parler plus tôt et éviter les victimes de la génération de Léna. Cette dernière s’en veut à son tour pour une de ses amies d’enfance, agressée après elle par le même homme. Anna, de son côté, est la première à avoir porté plainte. C’est grâce à elle que Léna a pu être crue et entendue. « Si t’avais pas porté plainte, quelle aurait été mon histoire ? […] D’avoir lu ta déposition, je me souviens d’une sensation dans le corps extrêmement étrange, parce que c’était tellement similaire, donc d’un côté tu te sens moins seule et dans le même temps […] c’est comme si j’avais réalisé qu’on était interchangeables… » La force de ces échanges, où celle qui tient le micro fait partie intégrante de l’histoire et crée elle-même les conditions pour que ces paroles surgissent est précieuse. Et la quête de ses « âmes sœurs », comme elle les appelle, se transforme peu à peu en reprise de pouvoir sur soi et sur son récit.
La recherche est sans fin, le nombre de victimes, inconnu. Sur la route, on laisse des interrogations, des silences et des relations abîmées. Mais les portes s’ouvrent et le micro sert de prétexte pour se rencontrer, se parler enfin et se soigner, comme lors de cette scène incroyable, où accompagnée de son meilleur ami, Léna revient dans la cour où elle s’est longtemps sentie piégée. Une expédition sous forme d’ultime libération : « Je suis revenue me chercher et je crois que ça, c’est se faire justice. »
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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CQFD n°247 (décembre 2025)
Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.
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Paru dans CQFD n°247 (décembre 2025)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 27.12.2025
Dans CQFD n°247 (décembre 2025)
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