Aïe tech #20

Souriez, vous êtes algorithmisés

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Vingtième épisode dédié aux biais par lesquels nous sont imposés les barreaux de notre technoprison.

Quelle surprise ! Les bras m’en tombent ! Alors que la vidéosurveillance algorithmique1 ne devait être qu’une expérimentation liée aux Jeux olympiques (JO), voilà que le préfet de police de Paris Laurent Nuñez vient de se déclarer « très favorable » à sa « prorogation », au regard d’un Paris qui s’est tenu bien sage pendant le grand barnum olympique. Si la décision de prolonger ce dispositif exige le vote d’une loi, on peut voir dans sa déclaration la pure expression du pied dans la porte technologique. En clair : tout est déjà en place, pourquoi reculer ? Une logique prophétisée dès 2021 par la Quadrature du Net, sentant venir le coup fourré et l’inévitable « effet cliquet » dans un article de Reporterre2 : « L’évènement crée le besoin, mais ensuite les technologies sont achetées, les personnels formés. On ne va pas revenir en arrière ».

L’effet cliquet est également lié à ce que des chercheurs ont appelé dès la fin des années 1980 le Technology acceptance model [modèle d’acceptation de la technologie ou TAM], mêlant sociologie et marketing. L’acceptation d’un glissement technologique passe par une première phase, souvent liée à la mise en avant des caractéristiques positives de technologies par ailleurs flippantes3. C’est ensuite que le glissement s’opère. Si dans les années 1990 et 2000 la vidéosurveillance suscitait encore une certaine défiance dans l’opinion et ne devait concerner que des espaces particulièrement touchés par la délinquance, elle s’est progressivement imposée massivement, jusque dans les bleds les plus paumés de l’Hexagone. Quant au fichage ADN, il devait au départ se borner aux crimes sexuels et se voit désormais appliqué aux opposants politiques.

Mais c’est surtout une forme de « théorie du choc » qui permet aux dispositifs de surveillance ou de régression sociale de se pérenniser à vitesse grand V. La crise Covid nous a ainsi habitués à l’utilisation de QR codes, au télétravail ou au déploiement de drones dans l’espace public. Les attentats de 2015 ont quant à eux donné lieu à un état d’urgence six fois prorogé avant de voir l’essentiel de ses éléments rejoindre le droit commun. Giga-évènement et laboratoire sécuritaire idéal, les JO 2024 ne pouvaient échapper à cette fuite en avant.

La diffusion des « techniques pénitentiaires jusqu’aux plus innocentes disciplines » que prophétisait Tonton Foucault dans Surveiller et punir : Naissance de la prison (Gallimard, 1975) semble avoir de beaux jours devant elle. À moins qu’à l’image des cortèges contre la loi « Sécurité globale » fin 2020 et début 2021 le sujet ne suscite des mobilisations massives. Certes, il y avait eu défaite, mais après combat. Dire que ça urge serait un doux euphémisme, tant chaque nouvelle offensive sécuritaire rend la rue plus hostile à l’expression d’une quelconque contestation de son aseptisation…

Par Émilien Bernard

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1 La vidéosurveillance algorithmique consiste à repérer via des caméras associées à des algorithmes les comportements suspects dans une foule (course, marche en sens inverse du flux, immobilité, etc.)

2 « Les Jeux olympiques ouvrent la voie aux technologies sécuritaires », Reporterre (16/03/21).

3 Par exemple le traitement de la maladie de Parkinson par implants cérébraux.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°234 (octobre 2024)

Dans ce numéro, on revient avec Valérie Rey-Robert sur ce qu’est la culture du viol dans un dossier de quatre pages, avec en toile de fond l’affaire des viols de Mazan. On aborde aussi le culte du patriarche et les violences sexistes dans le cinéma d’auteur. Hors-dossier, Vincent Tiberj déconstruit le mythe de la droitisation de la France. On se penche sur les centres d’accueil pour demandeurs d’asile en Italie, avant de revenir sur la grève victorieuse des femmes de chambres d’un hôtel de luxe à Marseille. Enfin, on sollicite votre soutien pour sortir CQFD de la dèche !

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