Malbouffe scolaire

Qu’ils mangent de la brioche du pain-pizza

Loïc est prof d’histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d’une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu’on s’est planté ?

« Monsieur, vous venez manger pain-pizza ce midi ?  » Interloqué je demande : « C ’est pas déjà du pain, la pizza ? » – « Non monsieur, c’est pas juste une pizza ! C’est un sandwich avec une part de pizza fromage à l’intérieur ! C’est trop bon ! » « C’est seulement 2 euros monsieur, on a pas beaucoup d’argent, et le pain-pizza ça remplit  » rétorque un autre, moins convaincu par la prouesse culinaire. Le manque de thunes des élèves apparaît fort lorsqu’il s’agit de grailler. Lors du traditionnel goûter de pré-vacances certain·es élèves n’ont pas les moyens de ramener à manger ou à boire. « Monsieur, Akim, il va apporter l’eau ! » se moquent ses camarades, pas beaucoup plus riches que lui. À la cafèt’, certains ne se permettent qu’une part de pizza et un soda pour le repas. En même temps, l’offre se limite à des sandwichs peu garnis, des salades industrielles, quelques viennoiseries et, depuis peu, des fruits ! « Ils les avaient enlevés il y a quelques années, sous prétexte que ça ne rapportait pas. Mais une banane ou une pomme ne coûtent que 15 centimes, raconte une collègue syndicaliste. J’ai dû batailler pour les réintroduire ! La cafèt’ ne doit pas être une entreprise privée ! »

Et manger à la cantine, qu’on vante souvent pour ses repas équilibrés, ne serait-ce pas une meilleure option ? Dans leur bouquin Les Cuisines de la Nation (WildProject, 2025), les sociologues Geneviève Zoïa et Laurent Visier en décortiquent le fonctionnement. Ils décrivent une organisation calquée sur le modèle industriel où la production est rationalisée autour des Unités de production culinaire (UPC) : sortes de cuisines-usines (publiques ou privées) qui produisent à la chaîne des repas livrés ensuite aux écoles. Sur place, les élèves peuvent se délecter de plats réchauffés mais « traditionnels » de la cuisine française, soi-disant gages d’une alimentation saine. La diversité culinaire est limitée et le végé ou le hallal sont combattus au nom de l’unité de la nation dans l’assiette. Autant de raisons qui poussent les élèves hors des cantines, comme le raconte un élève :« J’y vais pas, on peut pas manger de viandes hallal et l’omelette qu’ils mettent à la place, c’est du plastique ! »

Sur le site de l’Éducation nationale, on apprend que l’école serait l’espace où les « enfants acquièrent leurs premières habitudes alimentaires », reniant comme à son habitude la place des parents dans l’éducation. Car ce sont bien les plats familiaux qui réveillent l’appétit des élèves lorsqu’on parle de popotte : le pilao comorien, le borëk turc ou les gâteaux marocains des mamans que l’on déguste pour échapper quelques instants à l’univers aseptisé de la salle de classe. « Monsieur, il faudrait vraiment que vous veniez manger chez nous, vous verrez ce que c’est la vraie cuisine ! »

LoÏC

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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CQFD n°243 (juillet-août 2025)

Dans ce numéro d’été, on se met à table ! Littéralement. Dans le dossier d’été, CQFD est allé explorer les assiettes et leur dimensions politiques... Oubliés le rosé et le barbeuc, l’idée est plutôt de comprendre les pratiques sociales autour de l’alimentation en France. De quoi se régaler ! Hors dossier : un mois de mobilisation pour la Palestine à l’international, reportage sur le mouvement de réquisition des logements à Marseille, interview de Mathieu Rigouste qui nous parle de la contre-insurrection et rencontre avec deux syndicalistes de Sudéduc’ pour évoquer l’assassinat d’une Assistante d’éducation en Haute-Marne...

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Paru dans CQFD n°243 (juillet-août 2025)
Dans la rubrique Le dossier

Par Loïc
Illustré par Mona Lobert

Mis en ligne le 02.08.2025