Utopie réaliste

Le monde selon Bernard

Inspiré des travaux de Bernard Friot sur le salaire à vie, Camille Leboulanger imagine un monde sans propriété où chaque habitant·e touche un revenu garanti à vie. Son roman, Eutopia, n’est pas une utopie, c’est mieux que ça : une alternative concrète au capitalisme.

Le salaire universel, ça fait rêver, non ? À celleux qui balaient l’idée comme une illusion naïve, Camille Leboulanger répond non pas utopie, mais Eutopie. Un monde alternatif, pensé de bout en bout. CQFD est passé à côté de sa sortie en 2022 aux éditions Argyll, mais ce roman méritait bien qu’on y revienne. Puisant dans les recherches de Bernard Friot, sociologue et économiste, l’auteur dessine un horizon où la planète et le bonheur des habitant·es passent avant tout.

Le récit se construit autour d’Umo, narrateur qui retrace toute son existence dans ce monde débarrassé de la propriété. Ici, « propriétariste » est devenu une insulte. Les biens appartiennent à tous·tes, et même la famille a été défaite. Les enfants, élevés par la communauté, connaissent leurs géniteur·ices mais circulent librement d’un foyer à l’autre. Fini les patronymes : on ne transmet plus que des prénoms. Et à la sortie du secondaire, tombe le premier salaire. Tandis qu’Umo choisit de bosser dans un atelier de luminaires, son pote Ulf part voyager, Gob se consacre à l’écriture et Livia à la recherche. Liberté totale : chacun·e trace sa voie, porté·e par ce revenu garanti qui tombe chaque mois. La vie d’Umo se déroule entre amours, découvertes, doutes et accomplissements personnels, jusqu’au crépuscule de son existence, où il finit par créer sa propre communauté avec les trois personnes qu’il aime.

Si les propositions des économistes sur le salaire à vie peuvent paraître abstraites, Eutopia a le mérite de les incarner. C’est un roman biographique, presque documentaire, qui lève le voile sur la réalité quotidienne d’un monde décroissant, écologique et anticapitaliste. Un sacré pavé, certes, mais d’une lecture fluide, capable peut-être de convaincre même les « propriétaristes » de signer la fameuse Déclaration d’Antonia qui fixe qu’« il n’y a de propriété que d’usage ». Leboulanger détaille l’organisation du travail, des transports, de la production alimentaire, ou encore des décisions collectives avec une précision réjouissante.

Toutefois, ce n’est pas un récit complètement utopique… Gob, l’une des amoureuses d’Umo, confesse sa peine d’avoir dû quitter ses parents – des propos qui sonnent décalés aux oreilles de ses lecteur·ices. Elle fait aussi partie de celles et ceux qui contestent la règle d’un demi-enfant par personne, fixée pour limiter la croissance démographique et régénérer la planète. Le roman donne ainsi voix à plusieurs tensions, et fait circuler Umo à travers des milieux contrastés. On regrettera toutefois certaines zones d’ombre : rien, ou presque, sur les prisons, la criminalité, la colonisation… Reste une fresque qui donne envie. Un roman pour qui veut rêver d’un monde sans exploitation, sans hiérarchies écrasantes, sans violences institutionnelles, ni contre les humain·es ni contre les autres êtres vivants.

Par Thelma Susbielle

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CQFD n°244 (septembre 2025)

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Paru dans CQFD n°244 (septembre 2025)
Dans la rubrique Culture

Par Thelma Susbielle
Mis en ligne le 27.09.2025