Il faut défataliser l’Histoire
Malgré leurs aspects péteux, les trois textes inédits en français sur L’Utopie qu’acoquinent les éditions de la Découverte et qui furent fricassés entre 1980 et 1987 par la « star montante de la sociologie » à l’époque, Norbert Elias, méritent d’être chouravés. C’est que le professeur Elias n’y analyse pas seulement l’« utopia » du pénible ratichon rupin Thomas More canonisé en 1935 ou les délires littéraires inspirés d’H. G. Wells, il prend en compte « le potentiel de réalisation » des différentes utopies qu’il évoque, leurs « mécanismes d’issues possibles » quand leurs « horizons d’attente s’articulent à de réelles possibilités de changement ». Et puis, c’qui est chouette chez Elias, c’est que, recherchant sincèrement des « nouveaux modes rationnels d’émancipation », il vole dans les plumes de la notion d’« inéluctabilité du devenir historique » et du « pragmatisme politique ». Pour lui, il y a lieu de « défataliser l’Histoire » et d’insister sur les « marges de manœuvres de ses acteurs ».

Mais il ne suffit pas malheureusement de faire entrevoir des « futurs possibles », de suggérer de nouveaux modes d’émancipation, de défataliser le fatum. Encore faut-il savoir ne pas être chiant. Un talent dont paraît dépourvu l’illustre activiste pacifiste Bertrand Russell. L’on est obligé en effet de reconnaître que Le Monde qui pourrait être selon lui (un manifeste de 1918 réédité par Lux) s’avère triste comme un bonnet de nuit hollandiste. Et pourtant cette utopie anarcho-syndicaliste avait tout pour elle. Dans ce nouveau monde-là, tous les moyens de production appartiennent à chacun, toutes les décisions sont prises en commun, les denrées sont réparties gratuitement et sans rationnement, les écoles ressemblent à Summerhill, les prisons sont abolies, les armées sont dissoutes, le travail n’est plus obligatoire, l’amour libre supplante le mariage… Ce qui donne à réfléchir sur les dangers d’une révolution qui oublierait d’être ludique et poilante.
Si la plaquette anonyme L’Autogestion en pratique des éditions Albache est au poil, elle, (hormis une préface ronronnante), c’est parce qu’on a affaire ici à une ribambelle de témoignages vraiment vivants, enthousiastes, spontanés, risque-tout parfois, de gaillard(e)s (métallos, artisans, boulangers, profs et lycéens) qui expérimentent collectivement des formes d’utopie instantanée. Le menuisier Marc d’Ambiance Bois du plateau de Millevaches : « On essaie à plusieurs de travailler dans l’horizontalité, d’être chacun décideur et exécutant du travail qu’on mène, d’être dans un certain partage des tâches, d’être en tout cas sans hiérarchie dans le fonctionnement, de travailler à salaires égaux… »
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°122 (mai 2014)
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Paru dans CQFD n°122 (mai 2014)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 01.07.2014
Dans CQFD n°122 (mai 2014)
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