La colline à des yeux
Reliefs d’une adolescence en lutte
« La solitude, ce n’est pas forcément être seule. » Coline, 17 ans, lycéenne du nord de la France, vit avec son chien dans une ancienne ville minière. Végan, non binaire, lesbienne, écolo, anticapitaliste : elle coche toutes les cases, et le revendique. Coincée pour les vacances avec sa mère, sa tante et ses cousins, elle décide de fuir dans les collines noires des terrils, à la recherche d’un territoire à elle. Le récit de Colline (Cambourakis, 2025) s’ouvre sur une « genèse homofuturiste », puis changement de style : un monologue intérieur nerveux et une course-poursuite effrénée commencent. « J’étais un animal sauvage acculé par l’avancée des tronçonneuses... » Coline, traquée par une société coincée dans les stéréotypes, se réfugie dans les marges. Le récit haletant alterne avec un autre fil, fait de souvenirs récents, plus calmes, plus doux. Les deux trames narratives finissent par se rejoindre, comme une forme de réconciliation de Coline avec sa classe, son histoire, ses contradictions. L’ado est tout sauf lisse. Elle méprise les goûts trop « populaires », mais refuse de critiquer la salade de riz faite avec amour par ses tantes. Elle revendique son élitisme, tout en laissant percer une sensibilité désarmante : « Je serais toujours de celles qui préfèrent les trucs touchants à ceux qui déchirent... » Coline juge, doute, souffre, rêve, aime. Et c’est dans cette tension que réside sa beauté. Figure générationnelle, elle incarne une jeunesse ultra-consciente, ultra-lucide, mais pas cynique pour autant. Dans ces paysages ravagés par l’extraction du charbon, puis abandonnés et réensauvagés par le vivant, la jeune fille invente un monde parallèle où elle dialogue avec Jamila Woods, chanteuse qu’elle vénère. Le pouvoir de l’imaginaire est ici vital, politique, tandis que la langue devient une arme de résistance. « Je laisse le phatique à la masse et je prends le magique. » Dans Colline se dessine un paysage intérieur autant qu’extérieur, une chambre d’échos où se mêlent solitude, désir, écologie et lutte. Fanny Chiarello écrit avec une précision musicale. Son style, à la fois nerveux et poétique donne une langue singulière à cette héroïne hors norme. Rédigés lors d’ateliers d’écriture avec des lycéens, les dialogues, empreints d’humour noir et de lucidité adolescente, capturent une génération sans moquerie ni condescendance. Pas d’imaginaire de vainqueurs ici, mais une ode à celles et ceux qui s’inventent des mondes pour survivre et se battre.
Cet article a été publié dans
CQFD n°242 (juin 2025)
Dans le dossier du mois, on se demande comment faire face à la désinformation et surtout face à la prolifération des imaginaires complotistes, on en a discuté avec des artistes-militant•es qui luttent au quotidien contre le conspirationnisme. Hors dossier, on a rencontré Frédérique Muliava, une militante Kanak déportée jusqu’en France métropolitaine pour être jugée suite aux mouvements indépendantistes de mai 2024, on plonge avec Joris, jeune au RSA, dans les galères de France Travail, et on attrape la Darmanite aiguë à cause de ce ministre de la Justice tout pourrit qui veut reformer les prisons ambiance serrage de vis (ou d’écrou).
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Paru dans CQFD n°242 (juin 2025)
Dans la rubrique Bouquin
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Mis en ligne le 28.06.2025
Dans CQFD n°242 (juin 2025)
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