Algérie-Sur-Glane

Mythos coloniaux

Dans Oradour coloniaux français, le politologue Olivier le Cour Grandmaison revient sur la suspension d’Apathie de RTL après son parallèle entre les crimes nazis et les crimes coloniaux de la France en Algérie. Comparaison = raison ? Oui, mon général !

25 février 2025, l’éditocrate Jean-Michel Apathie sort de son rôle de toutou médiatique. Il déclare dans la matinale de RTL, « chaque année en France on commémore ce qu’il s’est passé à Oradour-Sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village, mais on en a fait des centaines nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? »1 Stupeur chez les droitardés, de Le Pen à Pascal Praud, politicards et médiacrates, s’offusquent. Apathie est suspendu par RTL. Raison : comparaison « inappropriée ». Et pourtant, au vu des massacres coloniaux commis par la France en Algérie la comparaison n’est-elle pas pertinente ? C’est ce que défend Olivier Le Cour Grandmaison dans Oradour coloniaux français (Les liens qui libèrent, 2025).

Apathie n’est pas le premier à tenter la comparaison. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale d’anciens résistants, comme Pierre Fayet, dénoncent les massacres commis en Algérie en ces termes : « on peut dire que le crime atteint l’horreur du massacre d’Oradour-sur-Glane  ». En 1951, le journaliste Claude Bourdet compare les méthodes de tortures en Algérie à celle de la Gestapo. Pour le politologue, « le parallèle est destiné non à banaliser mais à souligner l’extrême gravité de ce qu’il s’est passé en Algérie.  » À l’époque déjà des mythos détournent la réalité. En 1957, Guy Mollet, chef du gouvernement et socialiste juge la comparaison à la Gestapo « scandaleuse ».

Pourtant les violences commises en Algérie n’ont rien d’isolées. Elles correspondent à la méthode employée dès la conquête par le Général Bugeaud dans les années 1840. Pour faire plier le pays, l’armée a massivement recours aux razzias. Les militaires volent et pillent les récoltes pour affamer les populations, des villages sont détruits, leurs habitants déportés. Bugeaud est également adepte de l’enfumade, pratique qui vise à asphyxier les tribus cachées dans les grottes. Une guerre exceptionnelle, ou le droit de la guerre2 est suspendu. Rien ne doit empêcher de faire plier «  l’indigène, toujours jugé rétif et dangereux  », coupable par nature, qu’il soit civil ou militaire. Un État « militaire, policier ou terroriste  » et qui n’hésite pas à laisser « quartier libre » à ses troupes, ou même aux colons qui s’organisent en milices et «  agissent comme des forces supplétives  » de l’armée lors des massacres de Sétif et Guelma en 1945. Cent ans d’horreur que l’auteur qualifie « a minina [comme] des crimes de guerres, plus certainement des crimes contre l’humanité  ». Il invite alors au courage de nommer correctement les crimes afin de mieux combattre les réacs qui détournent sans arrêt les faits pour camoufler les responsabilités. Toute comparaison avec une situation autre serait fortuite.

Étienne Jallot

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Le 10 juin 1944, la division SS « Das Reich » massacrent 600 personnes dans le village d’Oradour-Sur-Glane. Résistants mais aussi civils, femmes et enfants.

2 Distinction entre civils et militaires, sécurité des personnes et des biens, droits des prisonniers...

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CQFD n°247 (décembre 2025)

Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.

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Paru dans CQFD n°247 (décembre 2025)
Dans la rubrique Bouquin

Par Étienne Jallot
Mis en ligne le 27.12.2025