Les « artisses »
« Il faut que les artistes soient reconnus. Nous voulons que l’État nous facilite l’accès aux galeries. Il doit nous acheter des œuvres et nous aider financièrement dans notre travail de création. » Voilà ce que disent des « artisses », comme les nommait Émile Pouget1, cette engeance qui s’autoproclame créative et devant laquelle les autres s’émerveillent tout en rêvant d’en être ! Les spécimens cités ici sont réunis en assemblées à Tunis, en février dernier, alors que le pays est en pleine effervescence depuis un mois. L’invitation était alléchante : « Comment les artistes peuvent-ils contribuer à la révolution ? » Ça allait sûrement bouillonner, là-dedans ! Grêve ? Manif ? Constituante ? Démocratie ? Justice ? Solidarité ? Rien de tout cela ! L’on assiste à une réunion de professionnels de la profession, étroits et nombrilistes, mélangeant révolution et opportunité marketing.
Fin mai, à Marseille, les « Écrans des nouveaux cinémas arabes » organisent la projection d’un film syrien en présence d’un réalisateur. Serait-ce l’occasion d’évoquer la situation sur place ? De s’informer autrement qu’à travers les médias ? D’entendre une voix venue d’un pays où les opposants se font tuer et torturer ? D’avoir quelques éclaircissements sur les évènements en cours ? Non ! L’on s’intéresse plutôt à l’état actuel du cinéma syrien, aux conditions de tournage, à l’existence, ou pas, d’écoles de formations, à la diffusion internationale, etc.
En fait « d’art », il s’agit de production encadrée par l’industrie culturelle où se remuent fabricants d’objets manufacturés et consommateurs. Que reste-t-il du propos, réduit à quelques considérations corporatistes, techniques, administratives ou financières, sinon des palabres entre professionnels et clients potentiels ? Quid de l’intention, du contenu, de la « manifestation de l’idée » ? Il semblerait que, à l’inverse de l’artisan ou du travailleur manuel, l’artiste se nourrisse du monde sans rendre en retour, sinon au sein de son landerneau de créateurs et groupies. Ainsi, contrairement à la proposition de la philosophe Hannah Arendt, la société n’a pas besoin de récupérer dans son patrimoine les productions d’artistes qui lui sont hostiles. Ils ne le sont pas ! Ils ne sont qu’une composante « culturelle » se prêtant au jeu de la sub, de la pub, de la com ou de la posture.
Pourtant, sans se satisfaire des formules à l’emporte-pièce sur « la mort de l’art » ou « le mépris définitif que méritent les artistes », ceux qui expérimentent le font, a priori, en tentant d’excéder les frontières et les normes de l’époque. En un mot, que reste-t-il de l’activité artistique quand elle ne porte pas une critique sociale intuitive, formelle ou informelle, voire même indicible ? La technique n’y est qu’un vecteur, complexe et passionnant, certes, mais rien de plus. « Où sont les jambes, la rate et le foie ! », écrivait Arthur Cravan2, affirmant par ailleurs que « dans la rue, on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme »3.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Révolutionnaire et syndicaliste (1860 – 1931), éditeur du journal Le Père peinard et auteur du Sabotage.
2 Poète, boxeur et prédadaïste (1887 – 1918), éditeur de la revue Maintenant.
3 Arthur Cravan, « Exposition des indépendants », Maintenant, n°4, mars-avril 1914.
Cet article a été publié dans
CQFD n°90 (juin 2011)
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Paru dans CQFD n°90 (juin 2011)
Dans la rubrique Faux amis
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Mis en ligne le 27.07.2011
Dans CQFD n°90 (juin 2011)
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4 août 2011, 18:44, par Lucie
Bonjour, je viens réagir à propos de vos propos sur les écrans des cinémas arabes. Savez vous que cette manifestation culturelle a décliné l’invitation qu’elle avait faite à un cinéaste syrien avant les évènements car il faisait partie d’une mouvance qui s’était prononcée en faveur du régime syrien ? Et savez vous aussi que le cinéaste présent en revanche, s’il s’était exprimé, n’aurait sans doute pas pu rentrer dans son pays ? Le flicage est bien plus important qu’on ne le pense, et les conséquences plus graves qu’on ne l’imagine. Les choses ne sont pas aussi simples !!!
31 août 2011, 18:35, par ss
Pour avoir fait 2 écoles d’art, le collège et un apprentissage je peut dire que tout les domaines sont touchés par le manque de créativité et le nombrilisme tranquille.