Hongrois rêver
Le puits néonazi
Les images ont fait le tour des médias : une jeune femme traînée par une laisse, menottes aux poignets, chaînes aux pieds, exhibée devant un tribunal hongrois. Le tort de cette instit’ italienne de 39 ans prénommée Ilaria ? Avoir manifesté contre des néonazis à Budapest, le 11 février 2023, « le jour de l’honneur » des bas du front venus de toute l’Europe1. Pour l’occasion, deux fascistes ont été bousculés, récoltant cinq et huit jours d’ITT, ouin ouin. Sans que rien ne la relie directement à ces faits, Ilaria risquait 20 ans de prison.
Camarade à tendance punk, Zerocalcare a signé pléthore de super bandes dessinées, dont Kobané Calling (Cambourakis, 2019), reportage auprès des combattants kurdes et internationalistes luttant contre les dangereux tarés de Daech. Dans La Nuit sera longue (Nada, 2025), il s’attaque à la vague de répression frappant les militants antifascistes en Hongrie, mais aussi dans toute l’Europe. C’est à la fois drôle et glaçant. Certaines cases font rire (jaune) : « Vous allez me dire que [ces néonazis] sont cons comme des sacs de gravier. Mais ces graviers, ils prennent 18 000 euros de financements publics. Pour faire les cosplayers de nazis. » D’autres accablent, à l’image de celles qui décrivent le traitement inique d’Ilaria au tribunal : « Quelque chose qui a à voir avec l’exposition du corps de l’ennemi, amené fers aux pieds, pour être vu par tout le monde, comme un trophée de chasse. »
La position de Zerocalcare est claire :« Un principe éternel. Dix mots. On ne lâche pas les gens qui finissent en taule. » Militant anticarcéral, il s’est lui-même fait défoncer la gueule par des fascistes italiens (dents, mâchoire et nez cassés) mais refusé de porter plainte contre ses agresseurs arrêtés. Raison de plus pour s’indigner du sort réservé aux ennemis de l’hydre brune. Car il ne s’agit pas seulement d’Ilaria, mais aussi de Tobias (arrêté avec elle), Macha ou Gino. Si les trois premiers ont été libérés, le dernier a été arrêté en France où il risque l’extradition en Hongrie. Une réalité que Zerocalcare interroge en décrivant « les lieux où tous les discours abstraits et les déclarations romantiques se prennent la réalité en pleine face. Comme à Fresnes, aux portes de Paris, où un antifasciste [Gino] attend dans une cellule de savoir si la France va ou non le livrer à un pays qui veut l’enterrer en prison ». En postface de l’ouvrage, des « antifascistes indomptables » rappellent la gravité de cette situation documentée par Zerocalcare : « L’affaire de Budapest illustre de manière alarmante la façon dont l’engagement antifasciste est aujourd’hui criminalisé et réprimé avec une extrême sévérité, tandis que les réseaux d’extrême droite continuent d’opérer en toute impunité. » Un cri d’alarme2.
1 Ces pelles à merde célèbrent la date anniversaire d’une contre-attaque en 1945 par des soldats allemands et hongrois contre le siège de l’Armée rouge sur Budapest.
2 Signalons qu’une partie des bénéfices de l’ouvrage seront versés à une caisse de solidarité « en soutien aux antifascistes victimes de la répression ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°242 (juin 2025)
Dans le dossier du mois, on se demande comment faire face à la désinformation et surtout face à la prolifération des imaginaires complotistes, on en a discuté avec des artistes-militant•es qui luttent au quotidien contre le conspirationnisme. Hors dossier, on a rencontré Frédérique Muliava, une militante Kanak déportée jusqu’en France métropolitaine pour être jugée suite aux mouvements indépendantistes de mai 2024, on plonge avec Joris, jeune au RSA, dans les galères de France Travail, et on attrape la Darmanite aiguë à cause de ce ministre de la Justice tout pourrit qui veut reformer les prisons ambiance serrage de vis (ou d’écrou).
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°242 (juin 2025)
Dans la rubrique Bouquin
Par
Mis en ligne le 21.06.2025
Dans CQFD n°242 (juin 2025)
Derniers articles de Émilien Bernard