Peur des tox ?

Immersion en salle de conso

Avec la BD À Moindres risques, Mat Let s’immerge dans le quotidien d’une salle de consommation de drogues à Paris. Il nous raconte un lieu d’accueil et de soin bien loin des clichés sensationnalistes et des préjugés moralistes.

Alors que les lâchetés politiques ont eu raison de la pourtant nécessaire Salle de consommation à moindres risques (SCMR)1 à Marseille, le dessinateur Mat Let apporte sa pierre à l’édifice d’un débat où peurs et morales de tous bords défient les faits. Dans la BD À Moindres risques (La Boîte à Bulles, 2024), il raconte en images son immersion dans le quotidien d’une SCMR gérée par l’association Gaïa et soutenue par Médecin du Monde (MDM), située dans le Xe arrondissement de Paris. En cherchant à « comprendre et donner à comprendre la réalité de ce lieu qui déclenche les passions », il se confronte à ses propres préjugés et décrit tout un écosystème complexe et humain dépassant le seul acte de consommation. Sans angélisme ou naïveté sur les potentielles tensions ou violences inhérentes à la précarité, il dépeint un lieu où prime le souci du soin, de l’écoute et du respect de l’autre.

L’enfer est aussi administratif, et certain·es viennent simplement pour avoir leur numéro de Sécu

Il y rencontre Bader, médiateur qui gère la file d’attente en jonglant entre l’écoute empathique et le posage de limites fermes ; se lie avec Banban, qui lui raconte ses galères d’emploi, de famille, de santé, comme un engrenage infernal dont il n’arrive pas à sortir ; écoute un usager qui mime à la façon d’un clown son arrestation brutale et la fouille illégale de la police – un humour qui choque le dessinateur et lui illustre la banalité quotidienne de ces violences ; accompagne un usager qui lui raconte comment se déroule une injection. L’enfer est aussi administratif, et certain·es viennent simplement pour avoir leur numéro de Sécu après s’être fait voler leur carte vitale ou avoir perdu leurs papiers d’identité. Ici, rien de glauque ou de caché, la salle se dévoile comme un lieu d’accueil et de soutien à des populations stigmatisées, visibles et violentées, qui ne sont pas représentatives de tous les usager·es de drogues en général : celles et ceux – plus favorisé·es et moins vulnérables – qui consomment à la maison, au travail ou de manière récréative.

Au fil des semaines, son regard change, non seulement sur la salle de conso, mais sur le monde extérieur. « Tout le monde connaît la salle mais personne n’y comprend rien », réalise-t-il en écoutant les légitimes inquiétudes des riverain·es. Une méconnaissance à laquelle la recherche scientifique et les gens de terrain peuvent répondre, pour peu que l’on contre activement les discours moralistes qui nous font croire que nier ou réprimer une réalité peut la faire disparaître.

Jonas Schnyder

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Aussi appelées « Halte soins addictions » (HSA) – et non « salle de shoot » – il s’agit d’espaces de réduction des risques où les personnes qui souhaitent consommer leur drogue peuvent le faire en étant encadrées par du personnel qualifié et dans des conditions sûres.

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CQFD n°241 (mai 2025)

Dans ce numéro, on se penche sur le déni du passé colonial et de ses répercussions sur la société d’aujourd’hui. Avec l’historien Benjamin Stora, on revient sur les rapports toujours houleux entre la France et l’Algérie. Puis le sociologue Saïd Bouamama nous invite à « décoloniser nos organisations militantes ». Hors dossier, on revient sur la révolte de la jeunesse serbe et on se penche sur l’enfer que fait vivre l’Anef (Administration numérique des étrangers en France) à celles et ceux qui doivent renouveler leur titre de séjour.

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