« Bon courage ! »
Certaines expressions fleurent bon l’esprit des temps. Symptôme de la dureté actuelle de ceux-ci, la formule « bon courage » vient en réponse à toutes sortes de propos, y compris les plus anodins. Au départ, « avoir du cœur » ou « faire contre mauvaise fortune, bon cœur » s’appliquaient au chevalier en quête de Graal, face à tous les obstacles et dangers qu’il aurait à surmonter (lapin tueur, pucelles du château d’Anthrax, Tim l’Enchanteur…). Désormais le simple fait de sortir de chez soi, d’aller faire trois courses ou de rechercher les bienfaits d’un bain de mer semblent s’apparenter, pour votre interlocuteur de rencontre, à un périlleux parcours du combattant sur lequel, pauvre hère accablé par les vicissitudes de la vie moderne, vous seriez amené à ramper d’un trou d’obus à l’autre. À moins qu’il ne s’agisse des derniers risques de contagion grippale. Le pire étant l’expression réduite à son composant essentiel – « courage ! » – qui dénote de la plus visqueuse des compassions vis-à-vis d’une victime pour qui les secondes sont comptées (juste avant de passer l’oral du bac français…). En cette époque de crise et de moral des ménages au fond des pantoufles, sans parler de celui des cadres, le langage de la vie quotidienne s’adapte à l’imminence de la catastrophe qui nous pend au nez. Le « ça va ou bien ? » laisse planer l’éventualité que non. Au portable, le « je ne te dérange pas ? », évocation à peine euphémisée d’un harcèlement pluriquotidien, a remplacé le « t’es où ? », encore imprégné du sentiment d’ubiquité lié à la généralisation féerique de la communication instantanée.
Comme il paraît loin l’âge d’or des sondages qui nous assénaient un brejnévien 85 % de Français heureux (en novembre 2009), encore plus loin le bon temps des reportages transformant notre belle Gaule en un pays de cocagne, joie de vivre à tous les étages, vers lequel nos voisins européens rêvaient de converger une fois leur fortune faite (le cirque de Gavarnie, le vignoble bordelais, les tailleurs de pipe de Saint-Claude chez Pernaud tous les jours à 13 heures). On l’aura bien compris tout cela est affaire de mode et, aujourd’hui, la mode est à la dépression. En février dernier, le très respectable médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, lançait son petit cri d’alarme à lui : « Cette société est en grande tension nerveuse, comme si elle était fatiguée psychiquement. » Son poste étant restructuré par la prochaine réforme du défenseur des droits, il va pouvoir sereinement méditer sur son diagnostic. Mais il n’est pas le seul à vouloir coucher la France sur son divan. Dernier en date, le sociologue Alain Ehrenberg1 dresse le portrait clinique de l’Hexagone en ce début de troisième millénaire. Pour cet analyste de la montée de l’individualisme sur fond de culte de la performance, l’effacement de l’État dominateur mais protecteur aurait laissé le quidam un peu tout nu face à l’injonction d’être pleinement lui-même. Ou comme le beuglait un chanteur des années 80 passé depuis aux drogues dures, « être une femme libérée, c’est pas si facile ». Plus sérieusement, dans une société où sa liberté de choix est totale, l’humain contemporain a la trouille de ne pas être à la hauteur de toutes les potentialités qu’on lui vend à longueur de spots publicitaires. Et quand on sait que les Français sont les plus nombreux parmi les Européens à voir le travail comme le principal moyen d’épanouissement personnel, on comprend mieux qu’ils se fracassent contre une réalité managériale essentiellement à base de précarisation tout azimut. Suicide collectif ou guerre civile ? Bon courage !
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 La Société du malaise, Odile Jacob, 2010.
Cet article a été publié dans
CQFD n°79 (juin 2010)
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Paru dans CQFD n°79 (juin 2010)
Dans la rubrique Faux amis
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Mis en ligne le 02.07.2010
Dans CQFD n°79 (juin 2010)
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