Riot control
Arcane, vitrine queer
En novembre 2021, Netflix diffuse Arcane, une série d’animation issue du très populaire jeu vidéo League of Legends (LoL), produit par les studios Riot Games. Comment ne pas être conquis·es par l’esthétique léchée et le scénario au cordeau mettant en scène le conflit entre les sœurs Jinx et Vi, sur fond de révolte des habitant·es de Zaun contre les artistos de Piltover et leur flic Caitlyn ? Meufs badass, romance queer et ambiance lutte des classes... Alors que LoL est régulièrement pointé du doigt pour la toxicité de sa communauté, l’inclusivité de la série a été au contraire largement saluée. « J’ai l’impression que Riot a envie de reprendre le contrôle sur son image », analyse la streameuse AvaMind dans l’émission « Popcorn ». En effet, suffit-il de mettre en scène des personnages féminins, queers ou encore racisés dans une série pour rendre un tel jeu inclusif ?
La Faille de l’Invocateur ressemble à une mancave, une « caverne d’hommes », où seules 10 à 15 % de gameuses osent se connecter
Avant de vivre une histoire d’amour sur Netflix, Caitlyn et Vi étaient surtout des personnages de LoL, comptant parmi les jeux vidéo les plus joués au monde avec 130 millions de gameur·euses régulier·es. Conçue pour coller à l’idéal de la masculinité geek tant par la représentation genrée de ses personnages que par sa forte compétitivité, la Faille de l’Invocateur (l’arène où s’affrontent les joueur·euses) ressemble à une mancave, une « caverne d’hommes », où seules 10 à 15 % de gameuses osent se connecter. Côté studios, en 2018, la presse se faisait l’écho de discriminations et de harcèlement envers les salariées et collaboratrices de Riot. L’affaire est telle que la justice américaine s’en saisit, et en 2021, deux mois seulement après la sortie d’Arcane, 80 millions de dollars sont versés aux 1 065 salariées et 1 300 femmes ayant travaillé pour Riot en tant que prestataires. Le studio espère que cet accord « démontre [sa] volonté de montrer l’exemple en faisant preuve de responsabilité et d’égalité dans l’industrie du jeu vidéo ».
On est prié de le croire, car cette ambiance toxique en studio avait déjà bien ruisselé parmi sa communauté de gameur·euses. En 2018 toujours, sa frange masculiniste se mobilise pour une cause bien fumeuse : la défense du fessier d’Irelia « Danseuse des lames », l’un des personnages du jeu. Riot venait de retravailler son aspect, et notamment son skin1 « Frostblade » (« Lame de glace »), surnommé par de nombreux joueurs « Frostbutt » (« Fesses de glace »), tant il mettait en valeur le postérieur du personnage. Après refonte, l’emblématique popotin d’Irelia « Frostblade » est gommé, provoquant l’ire d’une partie de la communauté. Des milliers de posts révoltés sur les médias sociaux et une pétition plus tard, Riot recadre la vignette sur le fessier de la Danseuse des lames.
Pourtant, la question de la représentation genrée dans le jeu vidéo est centrale vis-à-vis de l’inclusivité des femmes et des minorités de genre dans ce secteur. « Parmi les personnages corps-à-corps ou gros bagarreurs, les hommes vont être surreprésentés, quand les femmes occuperont davantage les [rôles de] supports », explique la chercheuse Faustine Grosjean dans le podcast « En direct de la cuisine ». En effet, dans LoL, les personnages féminins assurent majoritairement des fonctions de care et de protection. Or, « on a souvent envie de jouer des personnages qui nous ressemblent », poursuit la chercheuse. L’assignation de genre se renforce donc mécaniquement. Faustine Grosjean note néanmoins que « les stéréotypes de genre commencent à se dissiper et à s’amoindrir […] La direction prise par Riot offre aux joueur·euses des personnages de plus en plus diversifiés ». Une dynamique d’autant plus salutaire que les recherches sur le sujet montrent que l’hypersexualisation des figures féminines accroît le cybersexisme dont sont victimes les joueuses.
De là à dire que Riot est un fer de lance du wokisme, il y a un monde. En témoigne l’échec de la mobilisation de la communauté LGBTQ+ contre l’invisibilisation de l’homosexualité du premier personnage noir et gay du jeu sorti en 2022. Le studio avait en effet supprimé les références à ses amants dans certains pays. « Chaque région du monde peut modifier certains aspects du jeu pour s’adapter à la culture locale », avait tenté de justifier Jeremy Lee, l’un des développeurs du jeu. Une position qui a de quoi inquiéter dans un contexte de régression généralisée des droits des personnes LGBTQ+, en particulier aux USA où se trouve le siège de Riot.
D’ailleurs, si Arcane a bel et bien rencontré son public, son manque de rentabilité entraînera sa fin : la série ne sera pas reconduite pour une troisième saison. Alors que Riot misait sur l’intégration du public de la série comme nouvelle rente, l’opération a fait flop. La plupart des nouveaux·elles joueur·euses ne sont pas resté·es, et les ancien·nes ont boudé les skins et autres objets virtuels associés à Arcane vendus en ligne. Le studio se reconcentre désormais sur le jeu, et a même licencié 10 % de son effectif en 2024. Fin de partie.
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1 Habillage graphique qui modifie l’aspect d’un personnage.
Cet article a été publié dans
CQFD n°244 (septembre 2025)
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Paru dans CQFD n°244 (septembre 2025)
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Illustré par Garte
Mis en ligne le 27.09.2025