Ma vie au RSA
À France Travail tout est possible ! (ou pas)
Lundi 9 heures du mat’, j’arrive dans mon agence France Travail des Bouches-du-Rhône. Le cerveau embrumé et les paupières encore bouffies, je pointe à l’accueil : « Je viens pour la prestation... » Mes paroles s’évanouissent : le nom ne me revient pas. Derrière son comptoir, le guichetier m’observe, éblouit par tant d’implication. En tant qu’allocataire du RSA, je suis régulièrement convoqué à des rendez-vous en agence, en plus d’indiquer chaque semaine mes 15 heures d’activités. Si je fais le mauvais élève, je peux dire bye bye aux 500 balles qui ne me permettent déjà pas de mener une vie de pacha. Le nom de cette réunion ? « ATEP » pour « Atelier tout est possible » m’aide le type de l’accueil.
Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, les contrôles ont triplé, passant de200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024
Son principe ? On vous met dans une salle pendant deux heures avec d’autres « feignasses » pour expliquer en détail toute l’offre du rejeton de Pôle emploi pour vous remettre sur le chemin du burn-out.
Dès le départ, l’« Atelier tout est possible » est participatif. Nous définissons avec les deux intervenantes les règles de vie pour les deux prochaines heures : « écoute, bienveillance, respect, échange et BONNE HUMEUR ». Ma haine du monde du travail prend rapidement le dessus quand Michel* raconte : « J’ai 53 ans, je suis serveur. 35 ans de métier et pourtant je galère à trouver du travail. Les restaurateurs préfèrent des jeunes ! » En même temps, pourquoi embaucher un serveur compétent quand des étudiant·es fauché·es sont prêt·es à faire 50 heures par semaine payé·es au SMIC sur la base d’un contrat de 39 heures ? Michel reçoit un sourire crispé comme seul signe de compassion.
« J’ai l’impression de m’enfoncer, mais ce n’est pas à France Travail de nous trouver un job, c’est à nous de nous bouger ! »
Au fond de la salle, Fabienne* gribouille discrètement dans son carnet. Salariée de France Travail, elle est chargée de « faciliter l’insertion » du « vivier de demandeurs d’emploi » au sein des entreprises de « secteurs en tension ». Comprenez : « caser des salarié·es peu qualifié·es dans des boulots de merde pour aider des patron·nes à s’engraisser » : restauration, hôtellerie, bâtiment, soin à la personne... Attention Michel, tu es peut-être le prochain sur la liste ! Bon an mal an, les intervenantes avancent dans leur présentation des outils, des prestations et des formations proposées par France Travail. Elles insistent sur les possibilités de reconversion d’accompagnement des néo-entrepreneur·euses car : « si on veut, on peut changer de métier ». Un rictus apparaît sous les lunettes noires de Michel : « J’ai fait la formation pour devenir chauffeur de bus à la RTM (Régie des transports marseillais) mais j’ai été recalé à cause de ma vue ! » Même quand on veut, on ne peut pas forcément... Qu’à cela ne tienne, tous les mois, France Travail nous envoie un nombre impressionnant d’invitations pour divers salons de l’emploi et de l’auto-entrepreneuriat. L’organisme peut financer nos formations, mais il en propose aussi, comme celle sur « détection de potentiel » qui permet d’affiner un projet de reconversion professionnelle... Dans les secteurs en tension ou autoentrepreneuriat de préférence. Ça tourne en boucle. Je SUIS en tension.
Habitué de France Travail, je sais que cette pression n’est pas nouvelle, mais elle me semble plus pressante ces derniers temps. Votée en 2023, la loi dite « plein-emploi » est entrée en vigueur le 1er janvier dernier avec l’objectif affiché de renforcer le contrôle des allocataires du RSA ou du chômage. Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, ces contrôles ont triplé, passant de 200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024. Galvanisé, le régime anti-chômdu a fixé un objectif de 1,5 million de contrôles en 2027 même si aucune étude scientifique ne prouve que le renforcement des contrôles mène à un retour à l’emploi. Pour être dans les clous, France Travail déploie des outils de profilage algorithmique visant à automatiser et généraliser les contrôles. Très opaques, ces outils risquent sérieusement de procéder à des contrôles discriminatoires en combinant « différents critères construits à partir des données personnelles détenues par France Travail »1. L’effet culpabilisant est quant à lui bien réel : « J’ai l’impression de m’enfoncer, mais ce n’est pas à France Travail de nous trouver un job, c’est à nous de nous bouger ! » s’autoflagelle Michel. Cerise sur le gâteau, alors que l’atelier touche à sa fin, on a le droit à la condescendance de l’agence : « En ce moment, j’aide mon neveu à rédiger son CV et sa lettre de motivation. Pas évident ! Les jeunes ne maîtrisent pas encore tous les codes », sourit Martine après s’être assurée que personne n’avait moins de 26 ans dans l’assistance. Si les « codes » sont l’exploitation et le contrôle, pas sûr que ce soit le CV et la lettre de motivation qui coincent !
* prénoms modifiés
1 Lire « France Travail : des robots pour contrôler les chômeur·ses et les personnes au RSA », sur le site de La Quadrature du Net (22/05/2025).
Cet article a été publié dans
CQFD n°242 (juin 2025)
Dans le dossier du mois, on se demande comment faire face à la désinformation et surtout face à la prolifération des imaginaires complotistes, on en a discuté avec des artistes-militant•es qui luttent au quotidien contre le conspirationnisme. Hors dossier, on a rencontré Frédérique Muliava, une militante Kanak déportée jusqu’en France métropolitaine pour être jugée suite aux mouvements indépendantistes de mai 2024, on plonge avec Joris, jeune au RSA, dans les galères de France Travail, et on attrape la Darmanite aiguë à cause de ce ministre de la Justice tout pourrit qui veut reformer les prisons ambiance serrage de vis (ou d’écrou).
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Paru dans CQFD n°242 (juin 2025)
Par
Illustré par Djaber
Mis en ligne le 21.06.2025
Dans CQFD n°242 (juin 2025)