Un drôle de conflit

« With or whitout you ». Les paroles de Bono montent dans le crématorium du cimetière rouennais. C’est comme ça maintenant, U2, comme d’autres, a détrôné les Te Deum ou la musique de Bach, lors des cérémonies funéraires. On se retrouve environ 200, pour un dernier rencard avec Robin. Certains ont revêtu un gilet fluo siglé CGT. Robin était salarié chez Pétroplus, pompier et militant CGT. Je l’avais croisé plus d’une fois, lors de réunions, de manifs et de stages. Du genre énervé, un physique et des prises de position dignes de Don Quichotte, il était très impliqué dans le conflit de la raffinerie. Il est mort d’un arrêt cardiaque, le jour de ses 46 ans. C’est le deuxième qui meurt de mort pas vraiment naturelle, depuis que Pétroplus est en liquidation. Un premier, Patrick, s’est suicidé en mars dernier. Un écrivain qui suivait, il y a quelques années, la fermeture d’une usine et qui en a fait un livre1, s’enthousiasmait presque à l’annonce que, dans cette boîte-là, quelqu’un était mort. Pour le « côté dramatique » sans doute. Mais, à chaque fois qu’il y a un plan de suppression d’emplois ou une fermeture d’usine, il y a au moins un salarié qui meurt ou se suicide. Il y a toujours quelqu’un pour qui c’est si lourd que la mort prend le dessus. Dommage collatéral, en quelque sorte.

Pour certains des collègues de Robin, sa mort est un peu symbolique de l’avenir de leur raffinerie. D’autant que Shell qui avait passé, avec difficulté, un contrat de processing pour quelques mois, a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas. Depuis, la raffinerie est en cours d’arrêt. Entre les pseudo-repreneurs, les déclarations de ministres non suivies d’effets, les dossiers incomplets et les pressions des autres multinationales pour fermer le site, l’avenir semble être du côté du no future.

Cela fait plus d’un an que

par Nardo

le conflit Pétroplus dure. Un conflit sans patron (en faillite, il a mis la clé sous la porte) à qui adresser ses revendications. Alors se bagarrer pour en avoir un nouveau n’est pas la perspective la plus enthousiasmante. Le personnel de la raffinerie n’a jamais été des plus offensifs non plus, certains se prenant même pour les rois du pétrole, avec des salaires plus élevés que la plupart des salariés de la région.

Depuis le début, on assiste à de drôles d’assemblées générales, où il n’y a pas de décisions de prises mais où « l’Intersyndicale » semble tout faire, tout décider. Les syndicalistes (notamment les deux responsables CGT) font comme un show, comme le rôle de leur vie devant des salariés juste venus écouter les dernières infos avant de retourner bosser.

Il n’y a pas de lutte à proprement parler et les heures de grèves ont été très rares. Il faut dire que ce n’est pas facile d’occuper une raffinerie, car les contraintes environnementales et sécuritaires « Seveso 2 », obligeraient les autorités à une intervention rapide. Une raffinerie n’est pas non plus le type d’usine qu’on peut autogérer (rapports avec les pays producteurs de pétrole, transport de brut…). En plus, la moyenne d’âge y est relativement élevée et l’attente d’un plan de suppression d’emplois serait une perspective intéressante pour plus d’un. Quant aux plus jeunes, ils sont déjà plusieurs à avoir préféré la démission (80 sur 550 salariés).

C’est un peu tout cela qui a donné naissance à cette mythique « Intersyndicale » qui passe son temps dans les bureaux des ministres, préfets, marchands de pétrole, financiers et possibles repreneurs. Il s’agit en quelque sorte d’un conflit-spectacle où, faute de vraies luttes, l’accent est mis sur la médiatisation, la venue de politiques, des barbecues géants quasi-quotidiens et de très nombreuses manifestations artistiques (expo photos, pièces de théâtre, film, bouquin…). Quant aux quelques actions qui ont eu lieu, il y avait plus de militants des autres secteurs (Poste, santé, chimie…) que de la raffinerie. Sans doute que les habitants des villes avoisinantes ont plus à perdre économiquement de la fermeture de cette raffinerie puante et polluante.

Voilà, quelques propos un peu amers sur un conflit qui, je l’espère, ne fera pas école, même s’il aboutit positivement pour les salariés.

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 François Bon, Daewoo, Fayard, 2004.

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