Whirlpool
Un buzz et puis on ferme !
Au loin, de lourdes fumées grises. On y est. En ce début d’après-midi, ça discute devant la grille. Les pneus crament en fond de banderole : « PSE - WHIRLPOOL, TROIS MOIS DÉJÀ ! ET QUE DU BLABLA. » L’ambiance est familiale, fatiguée. Ici, c’est une boîte à souvenirs. Un tiers des salariés a été embauché il y a vingt ans, lors de la loi Robien1. Certains n’ont pas dormi pour bloquer les camions. Le barnum est dressé. Sur la table, de quoi se requinquer, et derrière, au service, Aline, retraitée : « J’ai bossé 31 ans. Je suis partie à 55 ans, en 2008. Mon conjoint travaille encore. Je viens les soutenir. »
15h – Ça s’emballe sur le piquet de grève. « Ils veulent qu’on reprenne avant de négocier ! » Après la réunion de l’intersyndicale, les leaders sont en furie : « Tout le monde remonte ! Même ceux du bureau. On se réunit maintenant, on lâche rien. »
Whirlpool, multinationale américaine, a foutu ses sèche-linge en sursis. La nouvelle est tombée le 24 janvier. Bientôt en Pologne ! Juin 2018, 290 ouvriers seront mis au ban. Première action : « Il y a 3 mois, on a lancé une opération escargot sur les lignes de production. On s’arrêtait 10, 30 minutes par heure. Ils ont mis un huissier derrière nous pour constater le blocage et prendre des photos. On n’a jamais pu discuter. » Lundi 24 avril, la grève est déclarée. Des équipes se relaient au piquet et dans l’usine, sur les différents postes. Choix collectif : « On a continué au ralenti pour gérer les finances de chacun. Là, c’est fichu, on va devoir tous sortir. »
Au lendemain de la venue des deux finalistes présidentiels, l’ambiance médiatique bat sa campagne. Quelques micros sont encore tendus pour sonder le gréviste, instrument du buzz politique, mais le spectacle est terminé. Retour à la réalité. La centaine d’ouvriers présents a déserté son poste et pénétré d’un pas décidé dans le bureau du directeur, Carlos Ramos. Ça passe aussi par-derrière. La masse se presse à sa fenêtre : le gros et son assistante à lunettes, attablés, se font huer. Cacophonie polyphonique, chacun y va de sa colère. Stupéfait, le PDG se lève. Face-à-face de classe à travers la vitre. Il fait alors le tour et sort de sa cage, se pointe dehors, net, de marbre. Entrepreneur anglais à l’accent portugais, il a été embauché fin janvier pour mener à bien la fermeture de l’usine. « Il a déjà fait fermer trois boîtes », précise une ouvrière. D’où son maintien rigide, imperturbable, son savoir-faire, son calme face aux insultes.
Au milieu des cris des travailleurs sur les nerfs, il lâchera deux phrases, rien de plus : « Il faut lever la barrière, c’est illégal » et « Vous levez la barrière et on négocie ! » En face, on réagit : « Gros menteur, pas un camion passera, ni maintenant, ni le mois prochain ». « C’est quoi ce chantage ? On va durcir le mouvement. » Il repart, suivi par cinq syndiqués qui invitent deux collègues à assister à la discussion pour constater le mensonge. Puis, ils ressortent. Ramos se fait interviewer par France 3-Picardie qui diffusera le soir même son intox. L’homme sourit à la caméra en déclarant : « Je voudrais négocier avec les salariés, c’est ça que je veux. » Heureusement, on voit aussi les porte-parole CGT et CFDT le contredire à pleins poumons. « Que des promesses ! C’est un groupe qu’a des sous, ils doivent payer, c’est tout ! » La plupart sont bien conscients que c’est fini. La lutte, c’est pour savoir à quelle sauce on va se faire manger. Sylvain a anticipé et sauvé sa peau. Il a postulé ailleurs et sait que c’est OK dans une autre boîte en CDI. Il va s’asseoir sur ses indemnités. Frédéric : « À 45 ans, on va faire quoi, après ? » Dégoûté, il n’imagine pas la suite.
Daniel a la voix cassée de fatigue : « Tous les jours, je pointe à 13h et je ressors au piquet, j’ai 58 ans, j’ai commencé à 16 ans, je suis censé partir à la retraite, mais je suis là pour les copains, copines, camarades, amis, collègues. »
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.
Tout cela se passe ici : ABONNEMENT et ici : PAGE HELLO ASSO.
Merci mille fois pour votre soutien !
1 En 1996, le ministre de Robien accordait des baisses de cotisations patronales aux entreprises qui réduisaient le temps de travail pour embaucher ou éviter des licenciements.
Cet article a été publié dans
CQFD n°154 (mai 2017)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°154 (mai 2017)
Par
Mis en ligne le 13.11.2019
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°154 (mai 2017)
Derniers articles de Margo Chou
- <
- >