Aïe tech # 15

Téléporter l’industrie du luxe dans un trou noir quantique

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Quinzième épisode dédié aux prétentions high-tech de l’industrie du luxe et de la beauté, repère d’indécrottable accélérateurs de l’emprise techno-gloubi-boulga-solutionniste.

Mi-janvier, le géant français du parfum Guerlain pensait faire un coup marketing avec un nouveau produit annoncé comme révolutionnaire. Coup dans l’eau : il a surtout suscité les railleries et quelques crises d’apoplexie chez les astrophysiciens. L’objet du scandale ? Un petit pot de 50 millilitres d’une crème baptisée « Orchidée Impériale Gold Nobile », dont la composition serait si miraculeuse que son coût de 650 euros serait parfaitement justifié – voire, un cadeau (enfin si l’on n’opte pas pour le coffret «  black  » à 2 900 euros, qui s’accompagne d’un intrigant «  Ridoki IMU-roller  »…) Il faut dire que la marque n’a pas hésité à désigner ce prodige dermatologique sous l’intitulé scientifique « crème quantique », avec notamment cet argumentaire tiré au cordeau : « Guerlain crée la technologie Gold Quantum™ capable, pour la première fois, de cibler l’émission de lumière quantique d’une cellule jeune. En agissant à une échelle sans précédent, elle amplifie la réjuvénation visible de la peau et agit sur les signes majeurs de jeunesse et de lumière. »

*

Plus c’est imbitable, plus ça passe ? Pas cette fois, puisque la marque a un chouïa rétropédalé son bullshit scientifique face au raz-de-marée de vannes sur son produit pour gogos galactiques, remplaçant dans son argumentaire « lumière quantique » par le tout aussi abscons «  biophotons  »… Bon, l’industrie du luxe est un appeau à merde, rien de nouveau. Mais ce que l’on sait moins c’est qu’elle est de longue date fascinée par les avancées technologiques les plus flippantes, onéreuses, inutiles ou carrément stupides. On te racontait en avril dernier comment un fashion créateur avait mobilisé les robots-chiens de Boston Dynamics pour un défilé de mode parisien furieusement applaudi1. Plus récemment, il y a eu mi-janvier le salon Consumer Electronics Show 2024 de Las Vegas, place to be des acteurs de la Tech, dont la conférence inaugurale a été confiée à… L’Oréal, parce que la marque le vaut bien. « L’Oréal pense que la tech peut repousser les limites [du secteur de la beauté] », a plastronné son directeur général Nicolas Hieronimus, vantant pêle-mêle des conseillers virtuels en beauté dopés à l’intelligence artificielle, des rouges à lèvres intelligents et une nouvelle génération de sèche-cheveux à 400 boules pièce qui va casser la baraque, accrochez-vous !

*

« Le luxe n’est pas le problème, il est la solution.  » Ainsi pérorait récemment dans Le Figaro Antoine Arnault, fils du pruneau toxique Bernard, en charge de l’image et de l’environnement du premier groupe français de luxe, LVMH. On notera que Guerlain et sa crème quantique pour richoux atrophiés du bulbe appartiennent à ce même groupe. Et que cette « solution » du luxe dans un monde fracturé de partout est tout aussi aberrante que le « solutionnisme technologique » en vogue dans la Silicon Valley. Un compagnonnage entre anciens et nouveaux saigneurs de ce monde qui n’a, lui, rien d’aberrant : qu’ils rapinent dans le luxe ou le numérique, les milliardaires-dépeceurs ont tout à intérêt à se serrer les coudes.

Par Émilien Bernard

1 « Les chiens-robots sont nos amis, il faut les aimer aussi », Aïe Tech #7, CQFD n°219 (avril 2023).

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