Quilombo porte beau !

La librairie parisienne Quilombo a ouvert ses portes en 2002 en affichant clairement ses intentions : « Nous voulons créer un espace autonome et autogéré, une alternative aux supermarchés de la culture ». Dix ans après, pari tenu. Mais l’expérience reste fragile.

Quand on arrive en vue du n°23 de la petite rue Voltaire (XIe), ce qui frappe d’abord ce sont les grands panneaux signés Frans Masereel (1889-1972) – magistral graveur sur bois belge connu pour son engagement social et ses « romans graphiques » – qui occupent l’une des vitrines. Tout curieux normalement constitué poussera la porte. Les murs sont remplis de saines lectures : mouvement ouvrier, théories libertaires, féminisme, décroissance… Il y a même un rayon « piraterie ». Des BD, de Masereel, beaucoup. Des DVD, tout Peter Watkins, Pierre Carles, Jean Rouch… Des CD, Fantazio, Konstroy… Et, détail qui tue : en lieu et place des habituelles babioles à côté de la caisse enregistreuse (censées nous faire acheter compulsivement) : nos journaux préférés (dont votre CQFD), fièrement présentés sous l’œil bonhomme de Bastien et Jacques, les deux salariés – emplois aidés arrivant bientôt à terme –, ainsi que Cédric et Philippe, les deux bénévoles de cette association qui fonctionne en autogestion « professionnelle » – ils paient un loyer, ont des charges, etc.

T’es branché sur un sujet particulier, un combat oublié ? Bastien te sort une liste impressionnante de bouquins sur le thème et te dira lesquels il a préféré, avec une subjectivité assumée. Tu cherches des infos sur la prochaine manif en soutien au peuple mapuche ? Jacques te tend les divers flyers des événements à venir. C’est que la librairie est à un jet de pavé du CICP, Centre international de culture populaire, un fameux relais pour toutes les luttes dont Quilombo se fait l’écho.

Ce qui frappe encore, c’est l’absence d’attitude « hard sell », et ça fait du bien par les temps qui courent. Profession de foi : « Les bons livres ne se repèrent pas d’un coup d’œil, au visuel de la couverture ou au nom de l’auteur. C’est pour ça que le libraire existe. Il joue un rôle important dans la chaîne du livre : celui d’orienter, de faire profiter de ses connaissances, de conseiller, de partager son expérience. Prendre le temps de discuter d’un livre, d’une idée, dans un monde qui s’accélère, est devenu un luxe. » Bref, c’est un métier.

Avec la menace du tout numérique (les start-up d’éditeurs poussent plus vite que les champignons), les i-Pad, les tablettes et autres commandes de livres sur Amazon, le Peuple du livre prend un sérieux coup dans l’aile. Aux dires d’un diffuseur, six librairies parisiennes ont fermé récemment. Quand la germanopratine librairie américaine « The Village Voice » s’est éteinte en juillet dernier, son dernier cri a été : « i-Pad m’a tuer. » Mais la riposte s’organise, avec le collectif Livres de papier1, qui a édité un « Journal des réfractaires à l’ordre numérique : e-Book / e-Monde / e-Gnoble ». Ou encore L’appel des 451, ou le libraire de Tropiques, Dominique Mazuet, avec son livre Correspondance avec la classe dirigeante sur la destruction du livre et de ses métiers (éditions Delga, 2012). D’autres librairies amies partagent le même combat : Publico (la librairie de la Fédération anarchiste, dans le XIe, la librairie Michèle Firk à Montreuil (voir article dans CQFD n° 104), La Friche dans le XIe itou… Au risque de se répéter : si ces librairies n’existaient pas, nous n’aurions que les livres d’Alain Minc à lire, et en numérique encore. Avouez que ce serait con !

Dix ans que Quilombo tient le coup, alors ça se fête : concert de soutien le 23 novembre avec Fantazio + Francesco Pastacladi et Les Chevals (à La Java). Le 24 à Quilombo à partir de 15 h : discussion sur les librairies politiques à Paris, par Julien Hage. À 19 h 30, Sorj Chalandon… Programme sur : www.librairie-quilombo.org.

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.

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1 Infos disponibles à Quilombo – cohérence oblige : peu d’infos sur Internet.

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1 commentaire
  • 11 janvier 2013, 08:46, par Jacques Bolo

    Bon, en bref, ça marche pas si bien (en tant que libraire, je connais ça aussi).

Paru dans CQFD n°105 (novembre 2012)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada

Par Samantha Fougeras
Mis en ligne le 11.01.2013