Foot populaire vs foot business
Paris est tragique
Un spectacle cloisonné aux tribunes du Parc des Princes. Un feu d’artifice en forme de tour Eiffel. Voilà comment, le 17 mai dernier, le PSG a célébré son luxueux titre de champion de France. « Une grande fête, selon la direction du club. Un show unique, que l’on ne voit pas ailleurs. » En effet. Ailleurs, un titre n’est pas juste une fête caporalisée dans un stade aseptisé, c’est d’abord une foule debout dans la rue, plutôt bruyante et indomptée.
À Paris, sous l’ère Qatar, on « rêve plus grand », mais dans les clous. Ainsi, début mai, au soir d’une défaite contre Rennes qui assurait officiellement le sacre du PSG, des centaines de CRS attendaient les supporters en haut des Champs-Élysées. Ils chargèrent direct, au pas de course, le moindre groupe de potes qui chantaient sur les immenses trottoirs. Une quinzaine d’arrestations au final pour quelques affrontements en fin de soirée. On n’avait rarement vu un tel contrôle pour un moment si banal, une telle application à museler une joie à peine turbulente.
Le PSG est désormais interdit de voie publique. Il y a un an, pour le premier titre après dix-neuf ans d’attente, les Champs-Élysées vécurent, il faut dire, une soirée bien différente. Des milliers de supporters envahirent naturellement l’avenue. Une euphorie massive, spontanée, un air d’évasion au centre de la ville-musée. Une foule très jeune, préférant se ruer sur Louis Vuitton® plutôt que d’attaquer le Fouquet’s, quelques mètres plus loin. Un public plutôt banlieusard qui ne criait pas tant une sorte de fierté (« Ici, c’est Paris »), mais kiffait plutôt l’occupation sauvage du cœur symbolique de la capitale (« Paris est à nous »).
Deux jours plus tard, la direction du PSG voulut reprendre la main avec une grande mise en scène au Trocadéro. Principal objectif : fabriquer une photo des joueurs brandissant le trophée dans l’axe de la tour Eiffel ; un genre de 14 juillet marketé par Nike® et Qatar Sport Investments. Sans doute le club s’attendait-il à une communion policée et familiale, une ambiance comme celle du Parc des Princes après le grand ménage effectué avec le « plan Leproux » qui, en 2010, a chassé l’essentiel de ses Ultras – les interdictions administratives de stade, jusque-là mesures d’exception sans fondement légal, devinrent systématiques à compter de cette date1. En cassant son histoire et la tribune Auteuil, désertée notamment par de nombreux antifas, le PSG, avec ses tarifs prohibitifs et son stade désormais sans fièvre a rompu le lien avec ses soutiens les plus chauds. Des anciens supporters manifestent régulièrement en scandant « Le Parc est mort » derrière des banderoles comme « Paris, capitale de la censure ».
Au Trocadéro, il y a un an, le « rêve » de grand-messe fut rapidement recouvert d’un nuage lacrymogène. Les télés regardèrent en direct « la fête tournant à l’émeute », avant de déplorer le « chaos » et un « paysage de désolation ». Il n’y avait pas tant d’Ultras dans les rangs du désordre, parmi la manif’ sauvage qui traversa, comme une revanche sur la relégation d’une partie de la population, le quartier le plus riche de Paris. Ce n’est pas contre le PSG que des pierres et des bouteilles de verre furent lancées ce jour-là. Si des voitures brûlèrent, si des vitrines tombèrent, c’est que personne ne simula le soi-disant moment de communion sportive, ce fantasme du monde spectaculaire marchand qui ne fonctionne désormais plus aussi bien. Ni à Rio ni à Paris.

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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1 Depuis 2006, près de 4 000 supporters ont été interdits de stade, avec un pic en 2010 de 1 098 tricards.
Cet article a été publié dans
CQFD n°123 (juin 2014)
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Paru dans CQFD n°123 (juin 2014)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Lasserpe
Mis en ligne le 25.08.2014
Dans CQFD n°123 (juin 2014)
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