Tambouille branchouille

Nantes : Fausse cantine, vraie récupération

C’est une des attractions du « Voyage à Nantes », cet événement de l’été qui sème quelques œuvres d’art à ciel ouvert pour draguer les touristes dans une ville qui souffrait, paraît-il, de n’être que traversée pour rejoindre les plages. La cantine s’étale sous une structure recyclée de vieilles serres agricoles. Quelques panneaux aux couleurs pimpantes figurent des patates affectées d’un mildiou bleu, des feuilles rouges pétantes décalquées sur le vieux caoutchouc de Mémé, des tagliatelles géantes sans doute aux épinards mais en contreplaqué. File d’attente pour acheter son ticket repas, rebelote pour se faire placer sur de grandes tablées de bois clair. Jusqu’à 300 couverts, ça impose une grosse cadence aux serveurs, sept jours sur sept pendant cinq mois.

Par Baptiste Alchourroun.

Coté boulevard, un gros Poucet a semé des méga cailloux, histoire que les gens du voyage – les vrais – ne se tapent pas l’incruste à l’ombre de cet attrape-gogos, version marketing du sans chichi. Pseudo popu, c’est si tendance... Avec quelques transats (dites « chiliennes », ça fait moins plouc) pour la pause fessière face aux anneaux de Buren alignés devant la Loire, il y a là tous les ingrédients du décor bobo habillant un concept vaguement franquette-guinguette. Pour montrer qu’on n’est pas que dans le rétro du baby-foot et de la piste de pétanque attenante au resto, on a ajouté une rampe pour skaters mais pas aux heures des repas, ça fait trop de barouf. La boutique-librairie vend des goodies – éventails, sacs, yoyos, inévitables mugs et cartes postales, stylos, chapeaux de paille, calendriers…

La cuisine se la joue modeste. On y avale tous les jours la même chose : une petite salade, un poulet-patates, un soda ou un quart de rouge pour 10 euros. Voire bière ou rosé, avec étiquette maison (prononcer « identité visuelle ») qui masque toute origine. Rosé assez dégueu, selon ceux qui ont testé. Et la même chose pour 13 euros à partir de 15h, la précocité du tarif « dîner » faisant tousser quelques clients de passage. Riquiqui et très basique dans son bol en verre, la « salade de bienvenue », laitue agrémentée de lamelles de carotte ou de bouts de tomate, est hautement vertueuse. Elle vient en circuit très court du potager voisin à dix mètres de là, installé hors-sol sur des palettes le long du quai désaffecté du port de commerce. Un maraîcher professionnel gère les 600m2 de cultures, et dispense son savoir sur réservation : la visite guidée des rangs de légumes est tarifée 12 euros par tête, la moitié pour les moins de douze ans. Le poulet est fermier, les patates on ne sait pas. Les gobelets sont en plastoc, ça fait peuple. Formule végétarienne ? Une blague : on vous ressert en plat la salade de l’entrée. Les tartelettes sont industrielles, le ketchup en dosette ou en plastoc estampillé Carrouf. Faut bien tenir le prix. La gestion est concédée au patron du LC club, grosse boîte de nuit voisine. Pour relever le niveau, la cantine accueille de temps à autre des ateliers du goût avec de vrais chefs et des conférences de l’asso Slowfood.

À en croire la retape officielle autour de ce resto cheap mais chic décontracté, cette cantine est un concentré de lieux communs : «  lieu de convivialité  », «  lieu de villégiature des Nantais », «  lieu de convergence de toutes les envies » (comprendre l’irrésistible appétit pour le baby-foot et la pétanque), « lieu de découverte qui redonne les clefs d’une consommation responsable sans négliger la notion de plaisir ». Le menu immuable sauve donc la planète, et c’est garanti sans le moindre côté chiant.

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Paru dans CQFD n°157 (septembre 2017)
Dans la rubrique Le dossier

Par Nicolas de La Casinière
Illustré par Baptiste Alchourroun

Mis en ligne le 10.02.2018