Migrants : « Faire partie des gens qui ne les traitent pas comme des numéros »
Dans quelles circonstances es-tu partie comme volontaire dans un camp de réfugiés en Grèce ?
Nous sommes parties pendant plus d’un mois avec une amie hollandaise, de notre propre initiative, pour rejoindre une autre amie qui faisait de l’accueil d’urgence de réfugiés à Lesbos depuis plus de 6 mois. Par accueil d’urgence, je veux dire l’accueil des réfugiés à leur descente des bateaux, où, en général, ils arrivent entièrement trempés, ont quasiment tout perdu en mer, sont glacés, ont faim, soif, et beaucoup sont en état de choc suite à la traversée (par exemple à cinquante sur un bateau pouvant contenir vingt personnes). Donc, on les attend sur la plage, la nuit, avec des couettes, des habits, de la nourriture, de l’eau, de l’attention et du réconfort aussi.
Comment t’es-tu finalement retrouvée à Idomeni ? Quelle est la particularité de ce camp, et quel y était votre rôle ?
Une semaine avant notre départ, la « crise » d’Idomeni a commencé. Nous avons appris qu’une cuisine collective et itinérante s’était installée depuis quelques mois aux alentours de ce petit village grec tout près de la Macédoine. Depuis la fermeture de la frontière, début mars, ce camp qui n’était au départ qu’un lieu de passage s’est retrouvé surpeuplé : la population y est passée de 4 000 à 5 000 personnes jusqu’à atteindre 13 000, 14 000 lorsque j’y étais. C’est un camp ouvert, donc non géré par les militaires, bien qu’il y ait une forte présence policière sur place. Policiers qui, selon leur humeur, décident de bloquer ou non l’arrivage et la distribution de nourriture, d’habits, etc.
Cette cuisine collective est composée de gens de diverses nationalités qui viennent essentiellement du milieu militant/anarchiste/punk squatteur. Il y a une grosse répression policière et beaucoup de surveillance, non seulement envers les réfugiés, mais aussi envers les volontaires, surtout les volontaires grecs. Ce collectif n’est pas une ONG, il fonctionne grâce à des donations privées : on a besoin de 2 000 à 3 000 euros par jour pour nourrir tout ce monde. Nous étions entre 40 et 70, selon les jours, à cuisiner pour une fourchette de 7 000 à 14 000 personnes.
Les tâches des différentes équipes sont de faire à manger et servir la nourriture, faire circuler les informations sur les demandes de droit d’asile, distribuer habits, tentes, couettes, chaussures, produits sanitaires, couches, nourriture pour bébés, etc. Nous étions les seuls à fournir de la nourriture chaude, de la soupe, sous une pluie incessante. Nous achetions les légumes aux paysans locaux, qui nous donnaient de nombreux fruits, notamment des oranges, pour que les gens « aient des vitamines ». Une équipe a aussi construit une tente à thé où on servait quasi 24/24 du thé et du café ; une autre a monté une tente pour faire des activités avec les enfants. Car il y a beaucoup d’enfants sur le camp, environ 30 % de la population.
Les réfugiés disposent-ils d’une aide sur place pour régulariser leur situation ?
Sur place, Médecins sans frontières et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sont présents pour fournir de l’aide officielle. Les trois procédures majeures de régularisation sont une blague.
Il y a le programme de relocalisation, où les réfugiés posent une candidature mais sans pouvoir choisir un pays – la loterie, en somme. Beaucoup ne sont pas informés qu’il peuvent refuser le pays dans lequel ils sont relogés s’il ne leur convient pas. Mais cela signifie une nouvelle demande, de nouveaux mois d’attente, et beaucoup ont peur de se retrouver dans des pays réputés hostiles comme la Serbie ou la Croatie. Ce programme est réservé aux Syriens, Iraquiens, Érythréens ; certaines nationalités en sont exclues de fait, entre autres les Pakistanais, les Marocains, les Afghans… Pour ceux ne pouvant demander cette relocalisation, il y a le rapprochement familial. Mais il faut avoir un mari ou une épouse, un enfant mineur ou, pour les enfants mineurs, un parent direct qui soit établi dans un pays européen. Tout autre parent n’est pas considéré comme étant assez proche.
Reste ensuite la demande d’asile en Grèce, mais connaissant la situation économique du pays, peu de gens y voient une solution. Le plus aberrant est que tout commence par une demande via Skype, avec un seul créneau de deux heures par jour pour tous les réfugiés. Le réseau est saturé. De plus, il y a très peu de connexions à Internet, et cela sous-entend qu’il faut avoir un smartphone ou un ordinateur, avoir trouvé un accès à l’électricité… Et ensuite, à supposer qu’une personne ait réussi à parler à quelqu’un, cet appel ne permet d’obtenir qu’un premier rendez-vous, environ deux mois plus tard, dans la ville du centre de demande d’asile dans laquelle elle a appelé. Les réfugiés doivent s’y rendre par leur propres moyens sans pour autant être assurés du résultat, qui mettra des semaines à arriver.
Qu’est-ce que le deal avec la Turquie a changé ?
Cet accord a eu des grosses conséquences sur le moral des gens. Une grosse majorité des réfugiés, toutes nationalités confondues, sont passés par la Turquie, y ont travaillé treize heures par jour pour 150, 200 euros par mois avant de pouvoir reprendre leur périple vers l’ouest. La plupart ne veulent surtout pas y retourner. En attendant les déportations ou d’éventuelles relocalisations, les autorités ont construit des camps militaires. Des bus entiers arrivent au camp d’Idomeni – que les autorités veulent réduire, voire vider – pour amener les réfugiés dans ces « endroits avec des meilleures conditions », sans leur donner aucune information sur ces nouveaux camps.
Certains sont « moins pires », d’autres atroces. Et tous, grillagés et entourés par l’armée et la police. Il était dur de recevoir des informations sur ces camps. Parfois nous étions autorisés à rentrer, escortés par un militaire, parfois nous nous sommes heurtés à une hostilité ferme.
Depuis ton retour, quel message veux-tu faire passer ? Vas-tu y retourner ?
Ce qui me choque le plus, c’est le manque d’information dont nous disposons : les luttes menées par des réfugiés ou la répression qu’ils subissent ne sont pas relatées. Les révoltes, manifs, contestations ne sont pas médiatisées, et pourtant il y en a plein ! On a notamment assisté à un blocage d’autoroute, qui s’est terminé en grosse bagarre avec les routiers, excédés d’être « gênés » dans leur travail par des gens « indésirables ». Mais en général, les gens du coin étaient plutôt solidaires et nous ont apporté leur soutien.
Le statut de volontaire indépendant permet d’instaurer des liens et une aide de proximité et de confiance. On ne peut rien changer au fond du problème, mais au moins on peut montrer de la solidarité, fournir du support matériel, de la nourriture, témoigner ; grandir en humanité : faire partie des gens qui ne les traitent pas comme des numéros, qui les regardent dans les yeux et leur montrent que tout le monde ne les a pas oubliés. Parce que c’est bien ça qu’ils essayent de faire dans les « nouveaux » camps : les enfermer bien loin de tous et de tout, pour qu’on oublie leur existence, qu’on n’essaie surtout pas d’entrer en contact avec eux, d’écouter ce qu’ils ont à dire, demander, dénoncer… J’y retourne dès que je peux, en juillet sûrement.
Pour aller plus loin, voir le Thema : "Migrants" de CQFD.
Cet article a été publié dans
CQFD n°144 (juin 2016)
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Paru dans CQFD n°144 (juin 2016)
Dans la rubrique Histoires de saute-frontières
Par ,
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 21.02.2018
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Dans CQFD n°144 (juin 2016)
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