Échec scolaire

Le fantôme du retour du serpent de mer de la grève générale

Loïc est prof d’histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d’une institution toute pétée. Ce mois-ci il nous emmène dans les AG du secteur de l’éduc’ qui peinent à construire une grêve reconductible.

« Le 10 on bloque tout ! Tout le monde ne parle que de ça ! Ma boulangère, le mec qui tient le bar en bas de chez moi ! » me raconte presque illuminée une collègue à la prérentrée du lycée. Après avoir écouté le discours soporifique du proviseur, une cinquantaine de profs se réunissent en AG pour discuter politique et luttes sociales au lycée et au-delà. « Bon, dans l’établissement, il manque cinq AED, quatre agents, une assistance sociale, une infirmière. Je touche du bois, il ne manque pas de profs ! » introduit un collègue. Très vite, la discussion glisse sur le 10 septembre et l’intérêt de s’en saisir pour résoudre des problèmes qui dépassent le lycée. « Dans tous les bahuts c’est pareil ! On arrêtera les coupes budgétaires qu’en virant Macron et pour ça faut rentrer dans le mouvement », râle à grand bruit un collègue AESH dans l’approbation générale.

La sainte grève générale semble dans toutes les bouches militantes

Si les collègues présent·es sont unanimes sur l’intérêt du mouvement, et que frémit dans la salle un désir (timide) de révolte, reste l’épineuse question : comment ? « Pour l’instant seuls la CGT et SUD appellent à la grève le 10, la CFDT et FO appellent seulement pour le 18 », explique une cégétiste. Qu’importe, les membres de l’AG sont déterminé·es à rentrer en grève le 10, et se rendront en manif ou à des blocages le matin même. Devant tant de déter›, j’ose : « Moi, j’ai pas envie d’attendre le 18 pour me remettre en grève. La stratégie des grèves perlées j’y crois pas du tout. Pourquoi on reconduit pas dès le 11 ou le 12 ? » Si les collègues semblent bien d’accord qu’une grève tous les dix jours ne sert à rien, la fébrilité semble de mise dans l’auditoire. Un vieux prof rodé à l’exercice, me répond : « Il faut attendre le 10 septembre. Si on voit que c’est une réussite, qu’on est nombreux, alors on reconduira, ça sert à rien d’y aller à six ou sept. »

Le jour venu, après une journée mi-flic mi-rien et des blocages marseillais mitigés, la sainte grève générale semble dans toutes les bouches militantes. Mais à l’AG du secteur éduc’, il n’y a qu’une quarantaine de personnes pour en discuter. Comment reconduire le mouvement quand les grévistes ne viennent pas pour parler de la suite ? « On doit distribuer des papiers en manif pour faire venir du monde aux AG. Elles doivent dépasser notre simple cadre militant, rétorque une camarade. Et alors on pourra parler de grève reconductible, quand on sera suffisamment nombreux ». Le 18 septembre, dans les locaux de la CGT, une centaine de personnes est réunie pour discuter de la suite : « Le nombre de personnes en manif est historique ! Et dans l’éduc c’est 42 % de grévistes dans les Bouches-du-Rhône ! »

« On se met à la remorque de l’intersyndicale, c’est une stratégie d’échec ! »

L’AG vote alors comme objectif de construire la reconductible à la prochaine date de l’intersyndicale et d’embarquer avec elle les grévistes d’un jour. Seul hic, les syndicats jouent l’attentisme avant d’annoncer une date deux semaines plus tard… « On se met à la remorque de l’intersyndicale, c’est une stratégie d’échec il faut construire la reconductible sans elle ! » s’exclame un camarade qui bouillonne sur sa chaise. Mais lors de la réunion la semaine suivante, les collègues semblent toujours moins convaincu·es par la grève reconductible. « Et bien on fera autre chose. Des veillées devant les écoles pour discuter avec les parents et faire du lien. On peut aussi faire des actions le soir, et pourquoi pas des petits blocages… En espérant être assez nombreux pour que la grève reparte », ne désespère pas la collègue. Bien difficile, pour l’instant, de la construire en dehors des dates syndicales, même si quelques-un·es s’y lanceront coûte que coûte.

Tout cela laisse un peu le sentiment de pédaler dans la semoule. Et une grève reconductible de l’éduc sera-t-elle en mesure d’embarquer tout le pays quand on sait que les classes populaires ne suivent le mouvement qu’à la marge ? Ne faudrait-il pas plutôt s’adresser aux agent·es d’entretiens, cantinier·es et autres précaires de l’éduc pour élargir le front ? Car le mouvement aurait bien besoin d’entendre d’autres voix que celle des profs, qui ont parfois du mal à lâcher le mégaphone…

LoÏc

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.

Tout cela se passe ici : ABONNEMENT et ici : PAGE HELLO ASSO.
Merci mille fois pour votre soutien !

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire

Cet article a été publié dans

CQFD n°245 (octobre 2025)

Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.

Trouver un point de vente
Je veux m'abonner
Faire un don