Popier bon œil

Le droit à la paresse d’une « grosse bouffonne »

Dans L’Étoile de mer (Grevis, 2023), Popier Popol dézingue tout ce qui se présente : ses bullshit jobs, ses amours, sa vie et la purée. Et c’est formidable.
Illustration de Juliette Iturralde

Popier Popol n’est pas jouasse de chez jouasse. À en croire son récit autobiographique L’Étoile de mer, cette «  Villeurbanoise cintrée » est même plongée assez gaillardement dans les miasmes du marasme ressassé. N’empêche : qu’est-ce qu’elle est drôle. C’est bien simple, chaque tranche de cette vie engluée dans les jobs de merde et les relations amoureuses foireuses recèle une ou deux pépites à même de faire frémir les zygomatiques les plus rétifs. Qu’il s’agisse d’évoquer la lente conquête des kebabs par la galaxie tacos, de s’insulter elle-même via la nourriture qu’elle ingurgite (« purée de grosse bouffonne ») ou de s’attarder sur le cas du parfum Bruno Banani, point de départ d’une dissertation ébahie sur un lugeur tongien du même nom, elle enrobe chaque événement d’un grand coulis de rire jaune. Même la chiante Grenoble se voit rhabillée pour l’hiver : « La ville de Grenoble est composée essentiellement d’infrastructures sportives et de doudounes. […] La nuit, il n’y a plus rien, juste du sport. À l’approche des fêtes, les Grenoblois enfilent leurs lampes frontales et font du sport pour activer l’illumination de leur grand sapin qu’ils appellent la Bastille. »

Derrière l’autodérision et les bons mots, il y a une dimension sacrément frontale dans L’Étoile de mer, sorte de manifeste pour le droit de ne pas cocher les bonnes cases de la vie en société. L’anti-win attitude. « La vérité c’est que je suis paresseuse partout, dans le lit, dans le métro, dans le bar, au travail, à pôle emploi, au café, sur le dancefloor, écrit-elle. Je passe mon temps à éviter toute forme d’activité. J’aimerais pouvoir rouler comme une énorme boule à la merci des coups de pied. » Le sexe aussi est appréhendé comme une activité globalement inactive, d’où le titre du livre. Témoin, cette scène à l’érotisme débridé : « Enfin il éructe son petit râle qui me délivre. Pourvu qu’il se mette pas en tête de me faire jouir. Je crois pas, il a pas l’air bien féministe, ça va, je suis tranquille. »

Inactive, elle l’est surtout au boulot, contre lequel elle vocifère. Le téléphone du bureau sonne ? « Que le Vécé du TER m’emporte dans un vortex de mycoses cosmiques [plutôt que de répondre]. » Et c’est dans cette belle rage qu’au fil des pages se glissent des motifs d’espoir : « Les toilettes de la gare sont condamnées, j’espère qu’on y séquestre des patrons. »

Par Émilien Bernard
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CQFD n°223 (octobre 2023)

Ce numéro 223 inaugure notre nouvelle formule et n’a pas de dossier thématique. Ceci dit, plusieurs articles renvoient à un même thème, celui d’une France embourbée dans ses vieux démons. On y refait l’histoire de la stigmatisation du voile à l’école, on y raconte comment la parole xénophobe la plus crasse s’est libérée autour des arrivées à Lampedusa, on y parle de squats expulsés et d’anti-terrorisme devenu fou... Bref, on passe la France au scalpel et ça pue pas mal. Heureusement tout un tas de chouettes chroniques et recensions viennent remonter le moral !

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