Lu dans {Mašina}
Le crime de Novi Sad et les frontières de la résistance libérale

Le 1er novembre dernier, le parvis de la gare de Novi Sad, deuxième ville de Serbie, s’est effondré, faisant quatorze morts. L’opposition et la société civile descendent alors dans la rue pour dénoncer la corruption du régime d’Aleksandar Vučić. Depuis 2022, d’autres manifestations contre le projet d’une mine de lithium à Jadar (ouest de la Serbie) mobilisent la population. Dans les deux cas, les mobilisations finissent par s’essouffler face à la répression et l’absence de perspectives. Saša Savanović propose d’y remédier. Extraits.
« La crise dans laquelle se trouve la démocratie aujourd’hui est un phénomène global, dont les causes peuvent, entre autres, être trouvées dans l’affaiblissement progressif de la désobéissance civile. En effet, depuis des décennies, elle perd son caractère de confrontation directe et devient principalement une performance symbolique […] cherchant reconnaissance et inclusion dans l’ordre établi […]
L’une de ces limites est sans doute celle qui concerne la mise en danger de la sécurité des manifestants. C’est directement ce que souligne un représentant du groupe organisé de jeunes SviĆe sur son profil Instagram, en expliquant qu’ils ne lancent pas d’actions violentes, car “personne à part les organisations de l’opposition, n’a la possibilité d’avoir une immunité, de bons avocats, etc.” […]
Robin Celikates [professeur de philosophie à Berlin, ndlr] souligne que, dans le cadre d’une désobéissance civile qui serait radicalement démocratique, l’accent ne serait pas mis sur l’empêchement ou l’application d’une politique donnée (l’adoption ou l’abrogation d’une loi ou d’un projet) […], mais plutôt sur le déclenchement d’un processus d’inclusion politique, sur l’élargissement du champ politique, comme un champ d’opportunités ouvert et potentiellement porteur […]
Lors des mouvements pour l’autonomie du Kosovo, la méthode de protestation non violente (marches, pétitions, appels), allant jusqu’à la création de partis et la participation au système parlementaire, se révèle être un échec. Les Albanais du Kosovo ont alors commencé à utiliser la méthode de la non-coopération [plus efficace, ndlr] : boycotter partiellement ou totalement le système politique, économique, éducatif et sanitaire de l’État répressif […]
Dans le contexte des luttes en Serbie, la méthode de la non-coopération semble être un moyen possible d’adresser au régime, au lieu d’une réaction spontanée et réactive, un défi proactif et systémique. Par exemple, par l’établissement d’institutions politiques (temporaires et permanentes), des boycotts économiques ciblés, la mise en place de “centres sociaux” pour soutenir la population juridiquement et techniquement, par des appuis à l’éducation, par le développement de “cuisines solidaires” existantes pour garantir la sécurité alimentaire, etc. […]
Au lieu de se concentrer sur l’attente sans fin que le régime tombe, il serait peut-être plus utile de se réorienter vers la recherche de pratiques de survie et d’adaptation en dehors du cadre légal et non sanctionné. Cela ouvrirait la voie à une reformulation et à un renouvellement du sens de la lutte, autrement dit, à la construction d’un collectif qui a du sens. Cela ne signifie pas que les luttes actuelles doivent être abandonnées, au contraire, elles peuvent être enrichies […] »
L’article original a été publié sur masina.rs
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CQFD n°236 (décembre 2024)
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Paru dans CQFD n°236 (décembre 2024)
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Mis en ligne le 28.03.2025
Dans CQFD n°236 (décembre 2024)