The working dead

La villa des fonctionnaires brisés

Tous les six ont démissionné de la fonction publique : une magistrate, un facteur, un policier, deux enseignantes et une médecin. Pour son documentaire de création Hors-service, le réalisateur Jean Boiron-Lajous les a fait se rencontrer au sein d’un hôpital abandonné. Dans un huis clos intimiste, ils racontent leurs souffrances et désillusions au travail.

Le film s’ouvre en mode urbex1 : caméra à l’épaule, on suit des inconnus explorer à la lampe de poche un hôpital abandonné. La ruine de l’État Providence faite matière. Un Tchernobyl du service public en quelque sorte. Cela pourrait être le début d’un film d’horreur, à ceci près que le genre a au moins la décence de se montrer rassurant sur un point : il met en scène des fictions, des histoires inventées. Dans son dernier documentaire, Hors-service, qui sortira en salle au mois d’octobre, Jean Boiron-Lajous ne s’embarrasse pas de ces pudeurs de gazelle. L’histoire qu’il raconte, à travers les voix de six anciens fonctionnaires, est bien réelle : celle d’un service public qui se dégrade et abîme ses usagers autant que ses travailleurs et travailleuses.

Postier, juge, baqueux, profs et urgentiste, tous ont été broyés par une institution qui les a vus débarquer emplis d’espoir, de bonne volonté, de naïveté presque. « J’avais envie d’aider tous les élèves  », dira l’une des anciennes enseignantes. « Ce que j’ai pu faire ou voir est loin de l’idée d’une justice protectrice des libertés individuelles, celle des livres, que l’on dit être la condition d’une démocratie  », dira l’ancienne magistrate. Mais invariablement, les structures se révèlent être plus fortes que les individus, travaillés par leurs problèmes éthiques et malmenés par des techniques managériales importées du secteur privé.

Grâce à une photographie soignée et des choix de mise en scène empruntant à la fiction, le spectateur est transporté dans un rêve brumeux où il côtoie les fantômes de la fonction publique, leurs souvenirs et leurs tourments. Rapidement, la caméra réussit à se faire oublier et l’on se retrouve plongé au cœur d’une thérapie collective. Les six « affranchis  », selon l’expression de l’ancienne médecin du groupe, se reconstruisent peu à peu en habitant ensemble cet ancien hôpital à travers différentes activités : séance de sport, bricolage, discussions à cœur ouvert, dîner, fête. Une sorte de télé-réalité pour fonctionnaires brisés.

Au moment des crédits, un léger goût d’inachevé demeure pourtant. Tout au long de l’heure et demie de film, la fonction de ces institutions – la police, la justice ou encore l’école – n’est jamais interrogée. Leur violence est-elle uniquement la conséquence de coupes budgétaires successives ou bien se loge-t-elle au cœur même de leurs structures ? On aurait aimé que la question soit au moins effleurée.

Niel Kadereit

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Exploration urbaine, une pratique consistant à visiter des lieux construits et abandonnés par l’homme.

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CQFD n°244 (septembre 2025)

Pour cette rentrée agitée politiquement et socialement, on vous propose un dossier sous le signe de détente (pas tant que ça) : les jeux vidéos. Une industrie bien capitaliste reproduisant toujours les mêmes dominations. Mais certains·es irréductibles luttent pour déconstruire tout ça. Allez, à vos manettes ! Hors dossier, on analyse de la hausse des droits de douane, on prend des nouvelles (pas très bonnes) des indépendantistes Kanaks jugés devant les tribunaux, on donne la parole aux pompiers du Sud, en première ligne face au incendies et on s’intéresse aux violences policières en Belgique.

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