Aïe Tech # 18

La cabale au fond du jardin

Mois après mois, Aïe Tech défonce la technologie et ses vains mirages. Dix-huitième épisode dédié à la dissémination tous azimuts des fantasmes de complot sur les réseaux sociaux, véritables autoroutes à fake news et délires anxiogènes.
Anaterate by Pixabay

Q comme complot, de l’auteur italien Wu Ming 1 (Lux, 2022), est un essai à mettre entre toutes les mimines tant il éclaire d’une lumière érudite les bas-fonds du marigot complotiste. D’abord focalisé sur la vague Qanon qui secoue l’Amérique depuis 2017, à coup de délires sur la pédocriminalité des élites et l’élevage d’« enfants taupes » dans des souterrains, il remonte ensuite le temps pour tracer une généalogie des « fantasmes de complots », dirigés contre une nébuleuse mêlant populations juives, franc-maçonnes et « société secrètes » de type illuminati ou templiers1. À partir de la Révolution française, puis surtout au xxe siècle, ces constructions paranoïaques, énièmes variations sur le thème de la cabale, ont causé des dégâts considérables. Reste que leur diffusion et leur développement étaient alors linéaires, progressifs – on pouvait en suivre l’origine, l’évolution, les logiques de contagion.

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Et puis les réseaux sociaux ont débarqué dans un paysage médiatique déjà stéroïdé par les chaînes d’info en continu et l’infinité du web, parachevant ce que Wu Ming 1 décrit comme un «  décor médiatiquement saturé, hyperconnecté […] et blobbisé au-delà de toute limite ». Dans ce grand gloubi-boulga, les théories du complot prospèrent et se nourrissent les unes les autres, rebondissant de Facebook en forum 8Chan, de boucles Telegram en post Twitter, dressant des récits collectifs délirants, aux multiples tentacules. « Désormais, tous les fantasmes de complot [sont] systémiques et à niveaux multiples », estime l’auteur de Q comme Qanon, qui, dans l’entretien qu’il nous avait accordé, posait ce constat : « L’efficacité de Qanon se base non seulement sur des dynamiques de dissémination […] parfaitement adaptées aux réseaux sociaux, proches d’un business model, mais aussi sur la force primitive des récits qui sont en son cœur, comme par exemple l’abus rituel satanique. »

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Du neuf avec du vieux, donc, qui se pare en outre d’une dimension ludique. Wu Ming 1 explique ainsi dans son livre que « ces sous-cultures sont à la fois des mouvements réactionnaires et des ersatz de jeux de rôle en ligne – des jeux en réalité alternée, multijoueurs, multiplateformes et transmédias ». Des jeux haineux démultipliés par la caisse de résonance des réseaux sociaux, en premier lieu Facebook, dont les algorithmes valorisent les contenus clivants sur les élites mondialistes ou les lézards de l’espace. Citons également TikTok, où sont monétisées des vidéos élaborées via l’IA et étayant de fumeuses théories du complot, le réseau social chinois les valorisant en tant que créateurs « publiant du contenu original de haute qualité »… *

Dans une ère informationnelle dopée à cette « post-vérité » qu’un certain Trump a tant pratiquée, alors que la création de deep fake est désormais à portée de main du premier souffleur de haine venu, nul doute que les fantasmes de complot type Qanon ou Grand Remplacement ont de beaux jours devant eux. « Highway to hell », comme le chantaient les Australiens d’AC/DC, probablement satanistes et mangeurs d’enfants.

Par Émilien Bernard

1 Voir l’entretien que nous avait accordé Wu Ming 1, , CQFD n°202 (octobre 2021).

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