1982-2002 : la lente agonie d’une illusion

Par Berth.

Deux clefs de lecture permettent de comprendre les mésaventures des socialos au pouvoir sur les trois décennies écoulées. D’abord celle fournie par Jean Poperen, numéro deux du PS de 1981 à 1987 : « Nous ne sommes pas devenus sociaux-démocrates, nous l’avons toujours été. » Ensuite celle tirée de l’analyse historique du PS autour de la notion de « néo-molletisme1 » : « À gauche toute pour les discours de congrès, à droite toute dès qu’il s’agit de passer aux choses sérieuses. » On pourrait suggérer une troisième clé qui serait l’insatiable désir de toute puissance d’un François Mitterrand se coulant à merveille dans le costume présidentiel de la V e République entre 1981 et 1995. C’est donc le compromis avec le capitalisme qui finira toujours par l’emporter sur la rupture… jusqu’à la rupture social-libérale de François Hollande.

Le « socle du changement » à peine posé après la première victoire de Mitterrand aux présidentielles – relance économique par l’augmentation des salaires, réduction du temps de travail à 39 heures, nationalisation de onze groupes industriels et trente-six banques, retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés… – le gouvernement Mauroy embraye sur le fameux tournant de la « rigueur ». Décidé en petit comité autour du monarque républicain, ce revirement se traduit par une adaptation de la politique économique aux contraintes de l’environnement européen et mondial. Ses résultats se font sentir lorsque Fabius arrive aux affaires après la démission de Mauroy en 1984 : hausse des revenus du patrimoine, baisse du salaire réel et flambée du chômage. La « conversion » mitterrandienne au culte de l’entreprise et à la figure héroïque de l’entrepreneur est relayée par des créatures comme Yves Montand, animateur de l’émission « Vive la Crise » en 1984, et le bientôt inévitable Bernard Tapie. L’instauration du scrutin proportionnel aux législatives de 1986 pour jouer le FN contre la droite sera une fourberie de plus. Le compromis se vautre déjà dans la compromission.

Éternel rival de Mitterrand, Rocard occupe le poste de Premier ministre de 1988 à 1991 et amorce une stratégie d’ouverture au centre-droit. Un moment tenté par une candidature contre le président, il a osé une affiche avec sa tête de comptable dépressif et ce slogan : « Il paraît que je fais trop sérieux : 2,5 millions de chômeurs, ça vous fait sourire ? » De l’arrangement entre les deux hommes, il en sort quelques mesures allant dans le sens du compromis comme la CSG, qui touche aussi les revenus du capital, et le RMI, qui prend acte de la mise à l’écart d’une part croissante de la population. Il y aura aussi la petite phrase sur l’immigration : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde. » Qu’il tentera de compléter ultérieurement : « Mais elle doit en prendre sa part. »

Fin 1991, alors que le gouvernement d’Édith Cresson (en remplacement de Rocard « licencié » par Mitterrand) est déjà très mal parti, le congrès de l’Arche de la Défense prend acte de la chute du mur de Berlin : « Le capitalisme borne désormais notre horizon historique. » Après deux désastres électoraux et une victoire à la Pyrrhus au référendum de Maastricht, le PS, de nouveau dans l’opposition depuis 1993, prépare la succession de Mitterrand autour d’un candidat à l’allure de professeur un peu sévère : Lionel Jospin. Battu honorablement par Chirac en 1995, il s’attelle à l’inventaire des années mitterrandiennes et en tire comme conclusion qu’il vaut mieux ne rien promettre. Il se tient donc à l’écart des grandes manifestations de 1995 en affichant la volonté de ne pas « politiser » le mouvement social ! Profitant de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Chirac en 1997, il accède au poste de Premier ministre à la tête d’un gouvernement de gauche plurielle, avec un objectif majeur qu’il confie à Martine Aubry : le passage à la semaine de 35 heures. Mais, peu offensif par rapport aux pressions du Medef, Jospin fait de la réforme emblématique de ses cinq ans de gouvernement une usine à gaz juridique au coût exorbitant en termes d’allègement de cotisations patronales et de flexibilisation du travail pour un gain de 400 000 emplois créés. Acculé par des plans sociaux à répétition chez Michelin, Danone et Marks&Spencer, tandis que le chômage repart à la hausse à partir de 1999, il laissera tomber : « L’État ne peut pas tout. » Les électeurs, en particulier parmi les catégories populaires, s’en souviendront en 2002 : le candidat du PS échoue au premier tour de l’élection présidentielle derrière le FN.


1 De 1946 à 1969, Guy Mollet a été l’inamovible dirigeant de la SFIO, ancêtre du PS. Histoire du parti socialiste, Jacques Kergoat, La Découverte, 1997.

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