Le rétablissement en BD

Vivre avec le trouble

Au printemps prochain, la talentueuse Lisa Mandel sortira sa nouvelle bande dessinée, Se rétablir. L’album sera publié aux éditions Exemplaire, mais on peut déjà le découvrir sur les réseaux sociaux. Ce travail de longue haleine présente le concept de « rétablissement » en santé mentale, c’est-à-dire l’idée que l’on peut vivre avec un trouble psychiatrique tout en menant une existence épanouie. Que l’on reste une personne avant d’être un diagnostic. L’ouvrage recueille, avec humour, les témoignages de plusieurs personnes directement concernées. Il revient aussi sur l’histoire du rétablissement et la révolution qu’il représente dans la façon dont on traite les problèmes psys.
Dessin de Lisa Mandel

En matière de santé mentale, quand le couperet du diagnostic tombe, il est souvent difficile d’envisager de vivre avec la maladie : il serait impossible de mener une existence heureuse et épanouie, de fonder une famille, de construire des projets. Bref, on ne pourrait pas se rétablir d’une maladie psychiatrique. Et c’est justement ce que combat le concept de rétablissement en santé mentale : se rétablir, ce n’est pas guérir mais apprendre à vivre avec ses troubles. Pour cela, il existe de nombreux outils permettant de reprendre le pouvoir sur sa vie et de ne plus résumer son identité à son diagnostic.

Le mouvement défendant ce concept nous vient tout droit des États-Unis − où il est appelé recovery − et a été largement porté par les premières et premiers concerné·es. À partir de 2005, se sont développés à Marseille des dispositifs alternatifs à la psychiatrie classique1, basés sur le rétablissement et sur l’importance du « travail pair », qui reconnaît les usager·es de la psychiatrie comme des expert·es en la matière. Se rétablir, la bande dessinée de Lisa Mandel dont nous publions ici quelques planches, présente plusieurs de ces structures qui proposent une autre manière d’aborder la santé mentale, « en redonnant le pouvoir d’agir aux personnes concernées », comme l’écrivent les éditions Exemplaire.

C’est d’ailleurs sur les témoignages de ces personnes que repose la BD : « Qu’elles soient entendeuses de voix comme Romain, bipolaires comme Chloé ou atteintes de TDAH [trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité] à l’instar de Jonathan, chacune nous [prouve] que nous ne sommes pas uniquement définis par nos neurodivergences, et qu’avec un accompagnement adapté, il est possible de s’en sortir. »

Se rétablir permet également d’entrevoir les outils que mettent en place ces personnes, leurs proches, et certain·es allié·es du monde médical pour entamer ce long chemin : « (re)connaître son trouble, le comprendre, l’apprivoiser, trouver du soutien », retrouver de l’autonomie et du pouvoir sur sa vie. Le rétablissement, c’est avant tout changer de perspective, comme le définit Agathe Martin, membre de l’association Comme des fous, fondée par des personnes concernées par un trouble psychique : « Se rétablir, c’est peut-être simplement donner sa juste dimension à la maladie dans sa vie et dans son identité2. »

Se rétablir, puissant outil pour lutter contre la stigmatisation des personnes concernées par des troubles psys, paraîtra en mai prochain aux éditions Exemplaire, cofondées par Lisa Mandel. Le but de cette structure est notamment d’assurer une juste répartition des revenus auprès des auteur·es, victimes d’une précarisation galopante depuis plusieurs décennies. Cerise sur le gâteau, une partie des bénéfices sera reversée à des structures marseillaises alternatives axées sur le rétablissement. Bref, on vous le dit tout net, chopez cette BD !

Cécile Kiefer


1 « Folie et précarité : la double peine », CQFD n° 184 (février 2020).

2 « Travailler pour s’en sortir ? », revue Rhizome, n° 65-66 (décembre 2017).

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Cet article a été publié dans

CQFD n°206 (février 2022)

Dans ce numéro qui fait sa fête à Blanquer, un dossier sur « les prolos invisibles de l’éducation nationale ». Mais aussi : un détricotage de la Macronie sécuritaire, un entretien anthropologique sur le règne des frontières, une plongée en bande dessinée sur la question du « rétablissement » en psychiatrie, des vaccins communards, des Balkans en tension et des auteurs de science-fiction qui jouent aux petits soldats.

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