Sur la Sellette
Un dossier simple
Les deux prévenus ont été arrêtés la veille à l’aube, alors qu’ils dormaient dans le coffre d’un utilitaire volé pendant la nuit. Même s’ils sont seulement accusés de recel – le fait d’utiliser une chose que l’on sait volée –, le président les suspecte aussi du vol :
— Le véhicule étant équipé d’un GPS, on a pu retracer le déplacement de la voiture. L’exploitation des données téléphoniques a permis de voir que le téléphone d’Ichem D. et la voiture ont fait les mêmes déplacements au même moment. En garde à vue, vous avez expliqué que vous aviez fait le trajet en train… Est-ce que vous maintenez cette version compte tenu du fait qu’il n’y a pas de train à 5 heures du matin ?
Dans la salle, des gens ricanent. Les prévenus maintiennent. Et répètent qu’ils ne savaient pas que c’était un véhicule volé.
— La porte du véhicule était ouverte, on était en T-shirt, on avait froid.
Faute d’obtenir des aveux, le président passe à l’examen de la personnalité d’Ichem D., déjà condamné une fois pour des faits similaires :
— Vous êtes par ailleurs en attente d’un procès pour recel, usage de stupéfiants et rébellion. Quelles sont vos ressources ?
— Je travaille sur les marchés.
— En situation irrégulière… Et vos projets ?
— Obtenir des papiers et travailler dans la comptabilité ou la gestion.
— Vous savez qu’en commettant des infractions, vous compliquez l’obtention d’un titre de séjour ?
Après cette question qui n’appelle pas de réponse, le président évoque la situation du deuxième prévenu, Ismail F., qui n’a pas d’antécédents et travaille au noir dans une boucherie.
La justice se contentera de ces minces informations pour juger les deux hommes. L’heure est maintenant aux réquisitions de la procureure – exaspérée qu’ils s’obstinent à nier.
— C’est un dossier simple. Se servir d’un véhicule volé, même pour dormir, c’est un recel de vol. Par ailleurs, ils vivent en squat ! Ils n’ont aucune garantie de représentation. Ils n’ont pas vocation à s’installer sur le territoire national !
Elle demande huit mois de prison pour celui qui a déjà un casier et six mois pour l’autre, avec maintien en détention pour les deux. Elle signale à toutes fins utiles que, pour ce type d’infraction, le tribunal a le droit de prendre une peine complémentaire d’interdiction du territoire français.
L’avocat d’Ichem D. insiste sur le fait que personne n’a subi de préjudice dans cette affaire.
— L’entreprise a récupéré le véhicule. Elle a confirmé que les clés avaient été oubliées à l’intérieur : il n’y a pas de vitre brisée, pas de trace d’effraction… Pourquoi huit mois avec mandat de dépôt ? Parce qu’ils n’ont pas de garanties de représentation. Pour avoir dormi dans une voiture, c’est totalement excessif !
L’avocate d’Ismail F. ajoute que son client comparait pour la première fois devant la justice :
— Et les faits ne sont pas si graves. Il pourrait être condamné à un sursis simple !
Revenu de délibérer, le président déclare les deux prévenus coupables, condamne le premier à quatre mois de prison avec maintien en détention et le deuxième à six mois de prison avec un sursis simple.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°247 (décembre 2025)
Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.
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Paru dans CQFD n°247 (décembre 2025)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
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Mis en ligne le 27.12.2025
Dans CQFD n°247 (décembre 2025)
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