Tout le monde déteste le Grand Paris

⁂
Voici les trois principaux constats qu’ils ont dressés.
« Le bailleur n’entretient plus, il ne répare plus les ascenseurs, ni les espaces collectifs », témoignent des habitants de Châtenay-Malabry. Les bailleurs et les municipalités peuvent alors en profiter pour déplorer des « dysfonctionnements urbains et fonctionnels qui nuisent à l’attractivité » 1 de telle ou telle cité et justifier ainsi une « redéfinition de l’offre résidentielle ». En clair, virer du pauvre, attirer du cadre et céder l’habitat social au privé. D’autres n’ont même pas ce problème : ainsi, « à Saint-Maur-des-Fossés [Val-de-Marne], le maire [LR] se vante publiquement de payer des pénalités plutôt que de remplir son quota de logements sociaux », souligne un participant.
Le collectif de Gentilly-Arcueil dénonce le parcours extrêmement difficile pour accéder aux documents officiels, qui s’avèrent souvent incompréhensibles. Partout, les situations sont similaires, quelle que soit la couleur politique des municipalités. À Champigny-sur-Marne ou à Nanterre, où les maires sont PCF ou apparenté, comme à Fresnes, où la maire est socialiste, ou à Bobigny (UDI) : même absence de concertation, même enfumage, mêmes coups de pression et même langue de béton…
Le sentiment de trahison est certes exacerbé dans les municipalités de gauche. Mais le constat se fait jour partout : « Les maires se comportent comme des petits barons. » « Dans les Hauts-de-Seine, c’est toujours le système Pasqua, une gestion clientéliste et communautariste », affirme un membre d’un collectif qui souhaite rester anonyme, parce que les services municipaux et HLM peuvent « te pourrir la vie si tu te mets sur leur chemin ». Et de préciser : « On te donne [un HLM, un local, un poste] en fonction de ton allégeance et on te fait comprendre qu’on peut te le reprendre... » Le tout s’accompagne d’une préparation des esprits : « On cherche à conditionner les populations au Grand Paris, remarque cet habitant de la cité Émile-Aillaud à Bobigny, en lutte contre la privatisation des espaces verts. Le blason-logo de la ville est ainsi devenu “ Bobigny-Grand Paris ”. » Sans concertation, évidemment.
Après démolition pour insalubrité. À Plessis-Robinson, des études ont montré que les personnes âgées et malades ont souffert des conditions très brutales de leur relogement suite à la destruction de leur cité. D’autant que ce relogement s’accompagne souvent d’un système de loterie savamment entretenu par la mairie, où « chacun espère décrocher le bon lot au détriment de son voisin, ce qui cristallise les rancœurs et la zizanie », indique un habitant de Fresnes. Les plans prévoient un relogement dans un rayon de cinq kilomètres. « À Nanterre, les habitants ont peur d’être relogés au-delà de Mantes-la-Jolie », confie Véronique, habitante de la cité Émile-Aillaud, dont la rénovation est imminente. « J’ai l’impression qu’on veut nous dégager de l’Île-de-France », accuse un membre du collectif Triangle de Gonesse, qui dénonce la destruction de terres agricoles pour des projets urbanistiques à destination des cadres moyens.
Mais parfois, face au rouleau compresseur des promoteurs et des municipalités, les luttes de locataires paient. Ce fut le cas pour le collectif DAL (Droit au logement) des habitants de la rue des Agnettes, promise à la rénovation, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) : il a finalement réussi à obtenir le relogement au même prix au m2 de tous les habitants, dans le même quartier. Mais le chemin de l’union est semé d’embûches. « C’est un comble : dès qu’on essaye d’informer ou de s’organiser, on nous accuse d’être la cause de l’anxiété des gens, s’indigne Véronique, de Nanterre. En gros, soit on est des statistiques, soit on est de la merde. »
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.
Tout cela se passe ici : ABONNEMENT et ici : PAGE HELLO ASSO.
Merci mille fois pour votre soutien !
1 Novlangue employée dans une « Charte partenariale de relogement » des Hauts-de-Seine.
Cet article a été publié dans
CQFD n°162 (février 2018)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°162 (février 2018)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Marine Summercity
Mis en ligne le 27.11.2018
Dans CQFD n°162 (février 2018)
Derniers articles de Mathieu Léonard