Du leurre dans les épinards

Nuit du Bien Commun : main basse des fachos sur les assos

Le 6 octobre devait se tenir à Aix-en-Provence la Nuit du Bien Commun, une soirée de levée de fonds pour des assos initiée par le milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Pas de charité désintéressée ici, mais une énième opération d’influence au service de son projet bien réactionnaire. Décryptage.

La Nuit du Bien Commun, renommée pour l’occasion la Provence pour le Bien Commun, était annoncée en grande pompe pour le lundi 6 octobre dans la salle du 6MIC, à Aix-en-Provence. Une nouvelle étape de la tournée de ces « soirées caritatives » organisées chaque année depuis 2017 dans une vingtaine de villes en France, Belgique et Suisse. Objectif : collecter des financements auprès d’entreprises et de particuliers et les reverser à des associations d’intérêt général, ici du médico-social. Un appel à une « générosité légitime et bien pensée »1 ? Plutôt une nouvelle magouille de l’infâme Pierre-Édouard Stérin, richissime exilé fiscal et fervent catholique, qui s’est donné pour divine mission d’installer l’extrême droite au pouvoir2.

Les dix associations sont priées de se vendre en pitchant leur projet sur scène

À Aix comme dans les autres villes3, la soirée a donc été prise d’assaut par des militant·es syndicaux·les et politiques, tant et si bien qu’elle doit se réorganiser in extremis en ligne. « Pierre-Édouard ! Paye tes impôts, ça f’ra des sous pour nos assos ! » pouvait-on entendre toute la journée sur le piquet de grève dressé devant le 6MIC. Parce que le fond du problème c’est bien ça : le désinvestissement progressif de l’État dans le financement des associations ces dernières années laisse le champ libre au privé pour s’y substituer. Et à l’extrême droite de sournoisement avancer ses pions.

Cheval de Troie

« On est là pour donner, mais on est aussi là pour défiscaliser. » Ainsi s’ouvre (en ligne, donc) la Nuit du Bien Commun du 6 octobre. Pour les généreux·ses mécènes, la soirée est l’occasion de s’alléger la conscience à coup de charité, sans oublier d’o-pti-mi-ser. Les dons peuvent, en effet, bénéficier d’une pratique réduction d’impôts à hauteur de 66 %. Pour récolter les fonds, les dix associations sélectionnées sont quant à elles priées de se vendre en pitchant leur projet sur scène. Refuser ce cirque n’est pour beaucoup pas une option, tant leur activité ne tient qu’à un fil. Face à la baisse chronique des subventions, aux refus de financement lorsque jugées « trop militantes »4 et à leur mise en concurrence par des appels à projets, les assos se tournent logiquement vers de nouvelles sources d’argent, en fermant souvent les yeux sur leurs origines. Dans le panel des associations sélectionnées pour l’évènement, on trouve des structures aux activités sans lien avec l’extrême droite, certaines soutenant mordicus ne jamais avoir entendu parler des « dessous » des Nuits du Bien Commun. D’autres, en revanche, sont pointées du doigt pour être « proches des milieux conservateurs et [servir] de véhicule aux idées d’extrême droite », affirme une membre d’ASSO Solidaires 13 lors de la journée. C’est le cas de La Visitation, un foyer d’accueil de jeunes femmes enceintes isolées, dont le projet est porté par l’association La Maison de Marthe et Marie, accusée d’être proche des milieux antiavortement5. « La Nuit du Bien Commun permet de banaliser une idéologie réactionnaire et conservatrice, continue la syndicaliste. En noyant le poisson au nom de la bienfaisance c’est en réalité Stérin qui tisse la toile de son projet. »

L’ombre de Stérin
Périclès, pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes »

Son projet, c’est celui qu’a révélé L’Humanité en 2024 et qui porte le nom de Périclès, pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes ». Doté d’un budget de 150 millions d’euros, l’objectif est assumé : « permettre la victoire idéologique, électorale et politique » de l’extrême droite en luttant « contre les maux principaux de notre pays (socialisme, wokisme, islamisme, immigration) ». Depuis ces révélations, les mobilisations s’enchaînent pour faire annuler les Nuits du Bien Commun. Espérant calmer le jeu, Stérin décide de se retirer du conseil d’administration en juin 2025. Mais personne n’est dupe : « de proches collaborateurs continuent d’y siéger », explique une déléguée à la CGT Spectacle. La personne ayant pris la direction du fonds depuis 2023 n’est autre que François Morinière, président du directoire du groupe Bayard, éditeur de titres tels que Le Pèlerin, et copain de Stérin. Et continue : « Il garde aussi la main sur Obole, la société qui produit les Nuits du Bien Commun, et sur Otium, le fonds d’investissement qui la finance. »

Pente glissante

Voici donc, entre autres projets nauséabonds, comment Périclès s’y prend pour « faire gagner l’extrême droite dans les têtes et dans les urnes »6. Les soirées du Bien Commun sont l’occasion pour Stérin de réunir dans un cadre idéal mécènes, responsables associatifs et élu·es qui partagent ses idées, pour élargir son réseau d’influence et structurer ses troupes. Investir le domaine de l’action sociale et le milieu associatif n’est pas un hasard. C’est en s’ancrant dans le débat public au travers de problématiques qui font consensus – le social, l’éducation, la jeunesse… – que l’extrême droite espère remporter la bataille. Financer quelques associations caritatives permet de maquiller cette tambouille pas très nette, sous un vernis de « bien commun ». Une tactique parmi les nombreuses autres que le « saint patron de l’extrême droite » décline à toutes les sauces : médias, culture, finance, enseignement… De quoi nous rendre salement malades.

Laëtitia Giraud

Ingrédients d’une victoire

à répliquer sans modération

Lundi 6 octobre, au petit matin, une trentaine de personnes se postent à proximité de la salle de spectacle d’Aix-en-Provence, le 6MIC. Depuis plusieurs mois, des organisations syndicales (CGT, CNT, Solidaires) et politiques et des groupes militants contre l’extrême droite s’activent dans l’ombre. En résulte « un tissu dense mobilisé et plusieurs entrées pour mettre la pression », nous glisse un affilié d’ASSO Solidaires 13 rencontré sur place. La combine, c’est un road crew, composé de huit technicien·nes intermittent·es du spectacle, qui a réussi à se faire embaucher à la journée pour le montage de l’évènement. À 8 heures, après signature de leur contrat, iels débrayent et se mettent en grève. Le piquet installé, les soutiens débarquent. Devant le peu de réactions de l’équipe de production (surstaffée) d’Obole et de la direction du 6MIC, les travailleur·euses décident de migrer dans le bâtiment et d’occuper la scène pour mettre la pression et jouer à la coinche (véridique). Iels y resteront jusqu’à la fin de la mobilisation. Pendant ce temps, à l’extérieur, une centaine de personnes a répondu présente à l’appel à un contre-rassemblement. Alors que le groupe se met en marche vers la salle de spectacle, la nouvelle tombe : la soirée est annulée sur place et sera organisée en ligne. La raison ? Protéger « l’intégrité physique » des participant·es menacée par « nos amis de la CGT [sic], accompagnés par des groupuscules d’extrême gauche », explique le mail diffusé par la production une heure avant que l’évènement ne démarre. Victoire ! Pas démobilisé pour autant, le cortège décide de rejoindre le piquet de grève qui tient toujours, escorté sous bonne garde par les dizaines de CRS présents. Une heure durant, les chants fusent dans la bonne humeur, jusqu’à ce que, l’annulation de la soirée confirmée, les huit mousquetaires quittent enfin leur estrade et rejoignent la foule acclamé·es par des « Gloire, gloire aux camarades grévistes ! »

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 Guillaume Richard, conseiller municipal Horizons de Nantes, dans l’absurde « La gauche déteste la Nuit du Bien Commun parce que cet événement montre qu’on peut mobiliser des fonds sans argent public », site du Figaro (05/06/2025).

2 Lire la série d’articles « Pierre-Édouard Stérin, saint patron de l’extrême droite française », site de L’Humanité.

3 À Rouen, en juin, la soirée a dû être déplacée dans un lieu privé après que la Métropole a renoncé à accueillir l’évènement. À La Rochelle, deux associations ont annulé leur participation. À Tours, Lyon et Nantes, les contre-rassemblements ont perturbé les soirées.

4 « Comment les préfectures censurent en amont les demandes de subventions associatives », Mediapart (15/10/2025).

5 « “La Région doit arrêter de soutenir des associations anti-IVG” », Le Parisien (22/11/2017).

6 Selon la formule de l’Huma.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°246 (novembre 2025)

Ce numéro de novembre s’attaque de front à la montée de l’extrême droite et à ses multiples offensives dans le milieu associatif et culturelle. On enquête sur les manœuvres des milliardaires réactionnaires, l’entrisme dans la culture et les assauts contre les assos dans le dossier central. Hors-dossier, on vous parle des les alliances nauséabondes entre hooligans, criminels et pouvoir en Serbie, on prend des nouvelles des luttes, de Bruxelles aux États-Unis, en faisant un détour par Exarchia et par la Fada Pride qui renaît à Marseille. Et pendant qu’on documente la bagarre, le Chien rouge tire la langue : nos caisses sont vides. On lance donc une grande campagne de dons. Objectif : 30 000 euros, pour continuer à enquêter, raconter, aboyer. CQFD compte sur vous !

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