Libère ton caddie
« Même le père Noël déteste le capital »

« Aujourd’hui, c’est gratuit, libérez les caddies ! » Ce samedi 21 décembre, une bonne centaine de Gilets jaunes chantent au milieu du plus grand Carrefour des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence. Dans la foulée d’un appel national à rendre Noël gratuit dans toutes les grandes surfaces (et une semaine après une joyeuse tentative de redistribution au Carrefour du Merlan, à Marseille), le rencard est prévu à 11 h, au rayon fruits et légumes.
Mais avant ça, il faut remplir les caddies. Au milieu du chaos des courses de Noël, on croise dans les rayons les regards amusés et complices des copains. Les chariots débordent vite : des victuailles qu’on ne pourra jamais se payer et des produits de première nécessité, destinés à divers collectifs de soutien aux migrants ou aux personnes démunies.
Arrivés aux caisses, on balance des gilets jaunes en l’air, on déploie une banderole, on chante « Même le père Noël déteste le capital » ou encore « Nous sommes tous des victimes de Carrefour » sur un air de supporters. Le magasin a beau être immense, on par vient à bloquer la plupart des caisses.
Les clients comprennent que leurs courses de Noël ne vont pas se passer comme prévu, surtout que le directeur a prévenu : « Je ne négocierai pas avec vous. » En réponse, on s’installe sur les tapis roulants, on sort la charcut’, les sushis, les Schoko-Bons : puisqu’on est là pour un petit moment, autant se mettre bien. Des licornes en peluche revêtues d’un gilet jaune paradent fièrement à l’avant des caddies.
On tracte, on discute avec les clients pour expliquer ce qu’on est en train de faire. Selon une source interne au magasin, un samedi précédant Noël, le Carrefour de la Pioline peut se faire tranquillement 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires dans la journée – sans parler des 750 millions que le groupe a palpés grâce au CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Un chouïa jaloux, on a donc envie de lui faire perdre un peu d’argent.
À la caisse, les employés sont d’abord un peu paniqués, comme cette caissière qui craint de perdre sa prime de Noël à cause du manque à gagner. Quelques minutes plus tard, elle ferme sa caisse, s’installe tranquillement sur son siège et déguste des Ferrero Rocher avec le sourire. Un de ses collègues se dit plus que content du bordel : « C’était censé être le pire jour de l’année pour nous, merci d’être là, restez le plus longtemps possible ! » un vigile confie même qu’il nous laisserait bien sortir avec les caddies, mais que ça n’est pas possible : « Si on vous laisse faire, ça risque de se passer partout en France. »
La bonne humeur ne dure malheureusement pas. Très vite, la tension monte et les échanges se tendent. Les clients sont peu solidaires et certains employés et vigiles tentent de nous arracher des caddies. Au bout d’une demi-heure, les flics se radinent, légèrement paumés dans ce dawa.
Finalement, on abdique après une heure et demie de blocage. Quelques copains avaient peur de se faire cueillir à la sortie par les flics et des clients devenaient violents – les courses de Noël, ça les rend dingues. On abandonne tristement nos caddies, tout en criant à la foule « On vous fait un cadeau, vous êtes pas rigolos », puis un plus énervé « Travaille, consomme et ferme ta gueule ». Une fois dehors, un pote lance : « Et si on allait bloquer le rond-point qui amène au Carrouf ? » Finalement, une bonne partie de la bande se retrouve sur le Vieux-Port de Marseille pour la manif des Gilets jaunes – dresscode père Noël. On apprend que le Carrefour de Vitrolles a fermé quelques instants après notre départ d’Aix-en-Provence, par crainte de nous voir débarquer. Carrefour et ses copains sont prévenus : « On reviendra. »
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°183 (janvier 2020)
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Paru dans CQFD n°183 (janvier 2020)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Yves Pagès
Mis en ligne le 05.01.2020
Dans CQFD n°183 (janvier 2020)