Dossier « Syndicalisme » – Où sont les femmes ?
Les dames de la grève

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Les ovalistes sont des ouvrières surexploitées, travaillant douze heures par jour, dont la tâche est d’appliquer des traitements au fil de soie afin de le rendre propre au tissage.
Durant l’été 1869, ce sont 1 800 travailleuses qui vont transgresser l’ordre social paternaliste et capitaliste et sortir de leurs ateliers pour revendiquer une augmentation de salaire et la baisse du temps de travail. Souvent célibataires, venues de la campagne ou du Piémont, parfois filles-mères, certaines sont obligées d’avoir recours à la prostitution. « Il y en a au moins la moitié qui n’ont pas de santé, écrivent-elles dans leur cahier de doléances, et sont souvent malades par rapport à la nourriture grossière qu’elles sont obligées de manger afin de pouvoir se suffire avec le peu qu’elles gagnent. »
Malgré la surdité des pouvoirs publics et l’hostilité des patrons, les ouvrières tiennent bon et leur mode d’organisation en assemblée générale leur amène l’appui d’opposants politiques et d’internationalistes au-delà du cadre strictement corporatiste. Le 11 juillet, la commission de grève, avec à sa tête Philomène Rozan, annonce son adhésion à l’Association internationale des travailleurs (AIT), véritable structure d’organisation et de débats du mouvement ouvrier à l’époque.
Mais, tandis que la dimension féminine de la grève aurait pu constituer un enjeu politique de premier plan, les ouvrières de la soie ne sont pas accueillies comme il se doit dans cette association exclusivement masculine. Pourtant, Marx avait proposé que la meneuse de la grève, Philomène Rozan, soit déléguée spéciale au congrès annuel de l’Internationale qui doit se tenir en septembre 1869 à Bâle. De son côté, le collectiviste français Benoît Malon écrit que la présence d’une représentante lyonnaise « serait l’occasion d’un débat solennel sur l’égalité de la femme afin de provoquer d’entrée de jeu un conflit salutaire avec les proudhoniens ». Les proudhoniens français sont alors sur des positions misogynes et anticollectivistes.
Mais les responsables de la section lyonnaise de l’AIT vont capter le mandat des ovalistes et l’offrent à leur ami Bakounine pour lui permettre de se rendre au congrès. Même si on y lit un rapport d’une teneur très paternaliste en leur faveur, les ovalistes n’iront pas à Bâle et retournent à l’anonymat. D’une certaine manière, elles font les frais de la querelle des « grands hommes », Marx et Bakounine.
Dans leur livre remarquablement documenté, Claire Auzias et Annik Houel constatent que l’absence des ovalistes à Bâle solde le « rendez-vous manqué entre le mouvement ouvrier et le mouvement féministe ». Aussi, on ne peut que convenir de l’appréciation de Michelle Perrot dans sa préface : « Ce livre sincère n’est pas seulement une contribution à l’histoire des femmes. Il dit aussi comment, parfois, les hommes écrivent la leur. »
- Claire Auzias et Annick Houel, La Grève des ovalistes (Lyon juin-juillet 1869), Atelier de création libertaire, 2016.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°149 (décembre 2016)
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Paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 12.02.2019
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