La politique de la terre brûlée
Quand l’incendie survient, fin août 2005, boulevard Vincent-Auriol, cela fait quatorze ans que les familles habitant l’immeuble sont en attente d’un relogement. Petit retour en arrière : en 1991 et 1992, des associations comme le DAL ou Emmaüs installent des campements en région parisienne, notamment sur le chantier de la future Bibliothèque nationale (BNF) où des familles préfèrent la tente à l’insalubrité. Sous la pression, Jacques Chirac, alors maire de Paris, obtient de l’État la réquisition d’un certain nombre de logements, pour beaucoup très délabrés.
Sur le squat de la BNF, Emmaüs mène la danse. L’occupation du terrain retarde le chantier, il faut agir. L’État propose alors à l’ONG et aux familles présentes un déménagement boulevard Vincent-Auriol, dans un ancien immeuble de La Poste voué à la démolition. Contre la promesse étatique d’un relogement rapide dans des conditions dignes, les mal-logés acceptent à contrecœur.
La gestion du nouveau bâtiment et le suivi social des habitants sont confiés à Emmaüs, puis à France euro habitat (Freha), une de ses succursales. Les fonds sont coupés, les habitants livrés à eux-mêmes et les associations dépassées. À l’audience, tous racontent des conditions de vie indignes : rats mordant les enfants la nuit, fissures dans les murs ouvrant sur l’extérieur, installations électriques fantaisistes, trous dans les planchers, cafards, etc.
Été 2000, les premiers cas de saturnisme surviennent en raison de la peinture au plomb qui couvre les murs et que les enfants lèchent pour son goût sucré. Une situation qui pousse Freha à faire poser en urgence des plaques de contreplaqué sur la peinture. Ces travaux, réalisés par Paris banlieue construction (PBC), aggravent le danger en cas d’incendie. Et une fois encore, l’« urgence » et le « provisoire » durent…

Fait troublant : quatre mois avant la nuit fatale et alors qu’un autre incendie vient de tuer vingt personnes à l’hôtel Paris-Opéra tenu par des marchands de sommeil, Fatoumata Diarra, une habitante de l’immeuble de Vincent-Auriol, témoigne face aux caméras de France 2 lors d’un reportage sur les logements insalubres diffusé le 28 avril 2005 : « Si le feu prend dans l’escalier, nous sommes foutus ». En effet, il ne faudra pas cinq minutes pour que la cage d’escalier s’embrase, atteignant une température de 600°C. La petite fille de Fatoumata succombera dans les flammes.
Au procès, les familles témoignent de cette nuit d’horreur. Ainsi Oumou Diarra, qui a perdu cinq enfants dans l’incendie. Peu avant les premières flammes, elle monte les saluer au cinquième étage. Moins de quinze minutes plus tard, elle est prise au piège : « On voulait prendre l’escalier pour sauver les enfants. […] On ne voyait rien, on a entendu des explosions. On ne pouvait pas respirer : on aurait dit un gaz chimique qui était toxique. On a tout fait pour sauver les enfants. Notre vie a trop basculé. Tant que la justice ne sera pas rendue, on ne sera jamais tranquilles. » Son mari, très digne dans son costume blanc, garde encore les séquelles de cet incendie. Ayant voulu passer par la fenêtre pour sauver ses minots, il est tombé et s’est blessé. Depuis, il boite, a perdu son travail et ne décolère pas : « Aujourd’hui, je suis très énervé. Toutes les nuits, je ne dors pas à cause de cet incendie, il y a un criminel, il faut aller le chercher, et l’amener ici. » Il y a aussi le fils d’Abdoulaye Sissé, grand brûlé : « Aujourd’hui Mamadou a douze ans, et il me demande pourquoi les criminels ne sont pas en prison. Cet enfant est handicapé à vie, il a perdu tous ses frères et sa maman. »
Le lendemain, c’est la valse des politiciens : un Bertrand Delanoë visiblement affecté et même des officiels maliens qui promettent des funérailles nationales aux morts. La palme du cynisme revient au ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui, dans la nuit même et devant les cadavres encore chauds, tirera prétexte du drame pour lancer sa campagne xénophobe contre les sans-papiers et fermer plusieurs squats de mal-logés, alors qu’en l’occurrence les habitants du boulevard Vincent-Auriol sont en situation régulière et payent en moyenne un loyer de 600 euros. En une semaine, les familles sont relogées, une hypocrisie pointée du doigt par les victimes comme Oumou Diarra : « Ce qui m’a fait très mal, c’est que la famille a été relogée une semaine après le drame alors qu’on avait attendu quinze ans. »
Ce mépris des autorités pour les victimes s’est encore traduit en mars dernier, avec le fiasco du premier procès. Il était prévu de n’y consacrer qu’une demi-journée (deux après demande insistante des familles) dans une salle trop petite. Du coup, les audiences ont été reportées. Aujourd’hui, les victimes ont été entendues, mais ont-elles été écoutées ? Freha et PBC risquent respectivement 30 000 et 50 000 euros d’amende, plus 5 000 euros de contraventions chacune. Mais si leur imprudence a été dénoncée, c’est un sentiment d’injustice qui demeure, le sentiment que tout n’a pas été fait pour retrouver et traduire les vrais coupables en justice : l’incendiaire, certes, mais aussi les représentants de l’État.
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°93 (octobre 2011)
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Paru dans CQFD n°93 (octobre 2011)
Par
Illustré par Rémi
Mis en ligne le 23.11.2011
Dans CQFD n°93 (octobre 2011)
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19 janvier 2012, 18:52, par christian hivert
on a contraint ces mal-logés d’accepter ce relogement en taudis
C’est pire, car on a contraint ces mal-logés d’accepter ce relogement en taudis, et les associations de lutte du logement avaient crié victoire, quinze ans plus tard rien n’est réglé , tous brûlent, et les associations fêtent leurs "vingt ans de lutte" et dix sept carbonisés... http://www.mouvementautonome.com/articl...