Fausse grève de vrais nantis
Le 17 octobre 2012, le syndicat national des internes de spécialité (ISNIH) lance une grève assortie d’une manifestation parisienne aux multiples motivations : outre les classiques revendications sur leurs rémunérations ou la défense de la liberté d’installation, on trouve le refus de la limitation des dépassements d’honoraires, dit de « secteur 2 ». Ou comment, sous la blouse blanche de la défense de « l’accès aux soins », ces privilégiés de la médecine veulent défendre leurs juteux avantages.
Fin octobre, Sécu et syndicats de médecins libéraux négocient une mesure majeure de la gauche au pouvoir : la limitation des dépassements d’honoraires qui représentent pas moins de deux milliards d’euros siphonnés hors des poches des patients – ce qui irrite les chirurgiens, dont le salaire moyen est de 11 000 euros par mois, et qui exercent à 77 % dans ce fameux secteur 2. Pour eux, « le problème n’est pas l’existence des dépassements d’honoraires, mais leur remboursement » qu’ils aimeraient pris en charge par les complémentaires. S’inspirant des soit-disant « entrepreneurs pigeons », les chirurgiens et internes de spécialité cherchent à lancer un mouvement de « médecins pigeons » : grèves dans les blocs opératoires du 12 au 17 novembre, manifs – pour lesquelles leur page facebook recommande de « ne pas porter de burberry »... Malins, le 24 octobre, à la manif marseillaise, ils porteront blouse blanche et masque de pigeon…
Pour gagner en popularité, ils se posent en défenseur de notre système de soin et accusent les mutuelles de tous les maux. Mais, surtout, ils tentent d’entraîner avec eux les internes de médecine générale en diversifiant leurs revendications sur les conditions de travail et le salaire des internes : « Une consultation vaut moins qu’une coupe chez le coiffeur ! » ou « Un plombier est payé plus que vous ! » – une simple recherche à l’Insee démontre pourtant que c’est complètement faux. Rapidement, une autre France médicale tient à exprimer son désaccord : les professeurs Grimaldi et Vernant de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris lancent une pétition signée par 140 médecins pour protester contre le mouvement des chirurgiens libéraux. Selon eux, c’est une « grève corporatiste, au moment où le pays connaît une crise économique et sociale majeure ». Le Syndicat national jeune médecin généraliste (SNJMG) dénonce un mouvement qui « défend seulement une catégorie de médecins privilégiés ». Plus radical, le Syndicat de la médecine générale (SMG) appelle même à « supprimer les dépassements d’honoraires ! Abolissons les privilèges ! » Le collectif de soignants Massilia-santé-système a également rejoint ce contre-mouvement. Tout au long du conflit, ils ont tenté d’éclairer les jeunes médecins quant à l’hypocrisie de ces revendications de privilégiés.
Finalement, la grève n’aura duré que cinq jours, sans rien obtenir. Philippe Cuq, co-président du syndicat le Bloc, déclare ne pas pouvoir « continuer [le] mouvement d’arrêt d’activité parce que, après cinq jours, ce mouvement nuit aux patients », mais aussi parce que « nous sommes des artisans et les cliniques sont des entreprises, cela ne coûte rien au gouvernement, mais cela nous coûte (à nous). » Quand les (vrais) nantis découvrent la dure réalité des mouvements sociaux...
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Cet article a été publié dans
CQFD n°106 (décembre 2012)
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Paru dans CQFD n°106 (décembre 2012)
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Mis en ligne le 20.12.2012
Dans CQFD n°106 (décembre 2012)