Mayotte

« Désormais, le Mahorais sera respecté ! »

Une révolution sur l’île de l’archipel des Comores ? Plutôt un vaste mouvement social contre l’augmentation des prix, conséquence du rattachement à la France. Mais la métropole, échaudée par l’exemple antillais, a déployé de gros moyens pour rétablir l’ordre.
par Camille

Au fil des jours à Mayotte, c’était devenu la référence. Pour certains même, un record à battre. Las, le « score » de la grève générale antillaise, qui avait duré quarante-quatre jours en 2009, n’a pas été atteint. Les Mahorais ont tenu un jour de moins. Après quarante-trois jours d’une mobilisation sociale « contre la vie chère » sans précédent dans cette île de l’archipel des Comores qui est devenue le 101e département français en avril dernier, les syndicalistes ont décrété la suspension du mouvement avant même qu’un accord ne soit trouvé entre l’intersyndicale et les associations de consommateurs d’un côté, le patronat de l’autre. Ce dernier a bien consenti à baisser le prix d’une dizaine de produits dits « de première nécessité », mais les leaders du mouvement attendaient plus. Les manifestants les plus radicaux aussi. « Tout ça pour ça ! » se désolait l’un d’eux le 9 novembre, au lendemain de la « capitulation ».

Depuis le 27 septembre, jour de la première manifestation qui a vite dégénéré en bataille de rue avec les forces de l’ordre venues en masse, les trois principales centrales syndicales de l’île et plusieurs associations de consommateurs, soutenues par une grande majorité de la population et des élus, revendiquaient la baisse des prix de produits tels que le riz, les ailes de poulet (ce qu’on appelle sur l’île des mabawas), l’huile, les sardines, le gaz, le sable…

Comme en Guadeloupe et en Martinique, le conflit a été dur. Pendant plusieurs semaines, les entreprises et les administrations ont tourné au ralenti, les routes ont été barrées, des carcasses de voitures incendiées, des vols annulés, des magasins pillés. Un manifestant, vite qualifié de « martyr », est mort dans des conditions qui restent à élucider. Alors que l’Administration parle d’un arrêt cardiaque, des élus locaux ont accusé les forces de l’ordre. Plusieurs autres ont été blessés et un enfant de neuf ans, touché au visage par un tir de Flash-Ball, a perdu un œil. Plusieurs élus ont dénoncé cette répression aveugle de l’État.

La comparaison avec les Antilles s’arrête là. Un des leaders du mouvement, Ansoir Abdou, à la tête du Collectif des citoyens perdus créé en 2009 pour protester contre la vie chère, a bien invité le porte-parole du LKP, Élie Domota. Mais ce dernier a décliné. Il a eu beau déclarer, dans L’Humanité, que « les similitudes [entre les deux conflits] sont réelles », il a aussi rappelé que « les problèmes ne sont pas tout à fait identiques ».

La principale différence ? Les revendications. Celles du LKP (cent quarante-neuf en tout) devaient aboutir à une révolution économique – et peut-être politique. À Mayotte, il s’agissait avant tout d’obtenir, à force de négociations d’épiciers, des baisses de prix. Jamais il n’a été question de remettre en cause la société de consommation dans laquelle l’île a été engagée il y a une quinzaine d’années, ou de mettre fin à la dépendance de l’île vis-à-vis de la métropole. Encore moins de mettre à bas les dogmes politiques et économiques (« Seul le statut de département pourra permettre le développement. ») rabâchés depuis cinq décennies par les élites locales. « Pour l’instant, nous n’en sommes pas là, reconnaît Boinali Saïd Toumbou, le porte-parole du mouvement. La société mahoraise n’est pas encore prête à affronter l’inconnu. » « Aux Antilles, ils avaient un vrai programme de société, ajoute Mlaïli Condro, un linguiste et fin observateur de ses contemporains. Ils proposaient quelque chose de nouveau. Nous, nous ne réclamons que de nouvelles aides, sans imaginer un avenir dans lequel nous serions les acteurs de notre propre vie. »

Pourtant, les germes de la révolte sont bien là. Depuis une quinzaine d’années, Mayotte subit des mutations socio-économiques destructrices. En sept ans, le salaire minimum a doublé – il représente aujourd’hui 80 % du Smig métropolitain – mais les besoins ont, eux, décuplé. « Aujourd’hui, celui qui n’a pas sa voiture et ses deux téléphones portables est un raté », ironise Ibrahim, un enseignant. L’activité économique ne suit pas. Sur deux cent mille habitants, on compte à peine trente-cinq mille actifs. L’administration n’embauche plus et le privé, dominé par une caste venue de l’extérieur et qui n’a aucun intérêt à redistribuer les richesses, crée peu d’emplois. Les inégalités sont de plus en plus criantes.

« Avec la départementalisation, on a cassé le lien de solidarité qui permettait aux plus démunis de s’en sortir , explique Saïd Omar Oili, l’ancien président du conseil général. Et on attend toujours que la solidarité nationale entre en vigueur. » Seuls quatre revenus sociaux ont été mis en place ces dernières années (sur vingt-deux). L’indemnisation des chômeurs est quasi inexistante. Et le RSA, qui entrera en vigueur le 1er janvier, ne représentera que 25 % du niveau métropolitain… Malgré tout, ce mouvement est à graver dans les mémoires. « C’est la première fois que les Mahorais osent à ce point affronter l’autorité de l’État et des patrons », analyse Mlaïli Condro. Pour Boinali Saïd Toumbou, « désormais, le Mahorais sera respecté ». C’est un début.

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Paru dans CQFD n°95 (décembre 2011)
Par Martin Alric
Illustré par Camille

Mis en ligne le 31.01.2012