Lu dans…El Salto

En Espagne, user les mobilisations

Le 4 décembre dernier, Daniel Amelang et Eduardo Gómez Cuadrado publiaient dans le média indépendant El Salto un article intitulé « Detenciones con ecos del pasado » [Des arrestations qui font écho au passé] dénonçant l’instrumentalisation politique de l’antiterrorisme en Espagne. Extraits.

[L’article est disponible en intégralité en espagnol sur le site de El Salto Detenciones con ecos del pasado ]

[…] En 2013 et 2014, les articles et déclarations institutionnelles associant au terrorisme l’anarchisme et le fait d’être « antisystème » se sont multipliés. On voyait passer des titres alarmistes tels que : « Le terrorisme anarchiste copie Al-Qaïda » (El País, 16 novembre 2013) ou « Cosidó [le directeur général de la police de l’époque] dit que le terrorisme anarchiste s’est implanté en Espagne et qu’il y a un risque d’attentats » (Europa Press, 12 juin 2014). […] Quelques mois après la publication de ces articles, la police a mené les opérations Pandora, Piñata, Pandora 2 et Ice, qui ont abouti à l’arrestation de dizaines d’anarchistes, dont certain·es ont été placé·es en détention provisoire. On découvrira après coup qu’il n’y avait pas la moindre preuve incriminant les personnes arrêtées. Des années plus tard, toutes ces affaires seront classées ou se solderont par des acquittements. Il n’y a eu aucune condamnation. Bien que les accusations de la police se soient dégonflées, les arrestations ont eu un effet démobilisateur. Comme l’indique le rapport annuel [du ministère public sur la criminalité en 2022], « la perte d’initiative de ces groupes violents, due en partie à l’action de la justice, a conduit à ce qu’une grande partie de leur activité se concentre sur ce qu’on appelle la “lutte contre la répression”. La mobilisation en réponse aux procédures judiciaires absorbe la majeure partie des ressources de ces groupes ». Les esprits caustiques pourraient penser que l’objectif de ce type d’opération policière n’est pas tant d’aboutir à la condamnation des personnes impliquées, mais plutôt de démanteler la capacité de protestation et de confrontation de citoyen·es politisé·es. En outre, il y a un effet criminalisant et marginalisant sur ces activistes et leur forme de critique sociale, puisque l’opinion publique a tendance à associer les arrestations policières au fait de commettre des crimes – en dépit du fait que ces crimes ne peuvent pas être prouvés devant un tribunal. Logique : la presse ne fait pas de gros titres sur les classements sans suite… Au vu des précédents de 2014-2015, on pouvait légitimement penser qu’après la criminalisation médiatique de septembre, certains groupes se réclamant d’une forme d’« écologie radicale » pourraient faire l’objet de persécutions policières et judiciaires. Comme le disait Mark Twain, « l’histoire ne se répète pas, mais elle rime ». Cette éventualité a été confirmée le 1er décembre, lorsque la brigade provinciale d’information de la police nationale de Madrid a arrêté certain·es militant·es présumé·es de Futuro Vegetal pour « appartenance à une organisation criminelle ». Nous ne connaissons pas l’affaire au-delà de ce qui est paru dans les médias, mais il est frappant de constater que la mécanique, une fois de plus, est la même : une accusation institutionnelle publique, suivie d’arrestations policières quelques mois plus tard. Des arrestations qui, soit dit en passant, coïncident avec le début du sommet sur le climat à Dubaï (COP28). Il s’agit certainement d’un pur hasard.

Par Daniel Amelang Et Eduardo Gómez Cuadrado
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