Quand Carrero fait boum !

Programme spatial de l’ETA : toujours plus haut

Fin décembre 1973, le régime de Franco se prend une belle claque dans le groin avec l’assassinat spectaculaire du numéro 2 du régime, un certain Luis Carrero Blanco, par un commando de l’ETA. Retour sur un attentat qui a terrorisé la dictature.
Illustration de Lémi

Il paraît qu’il y avait une blague fort prisée par les chauffeurs de taxis madrilènes dans le franquisme agonisant. Lorsqu’on leur indiquait comme destination la rue Claudio Coello, certains d’entre eux demandaient : « ¿ A qué altura ? » [À quelle hauteur ?]. C’est en effet là que l’amiral Louis Carrero Blanco prit son envol, au volant de sa Dodge Dart GT 3 700 blindée, propulsé à une hauteur de trente-cinq mètres par environ 80 kilos d’explosif. On était le 20 décembre 1973, quelques mois après son intronisation comme président du gouvernement espagnol, et cette aventure marqua la fin accélérée du régime franquiste, dont cet ultra-religieux était présenté comme le successeur. Carrero Blanco, son chauffeur et un garde du corps perdirent la vie, mais ils gagnèrent ce jour-là le titre honorifique de « premiers astronautes espagnols ». Un livre existe sur cette mise en orbite menée par l’organisation basque indépendantiste ETA. Il s’agit d’Opération Ogro : comment et pourquoi nous avons exécuté Carrero Blanco, publié par un certain Julien Aguirre1 (Le Seuil, 1974). Via des entretiens avec ses principaux acteurs, il détaille les différentes étapes de l’opération, censée au départ être un enlèvement qui aurait permis de libérer des camarades basques emprisonnés, avant que l’option boum ne l’emporte pour des raisons pratiques – la tâche était trop complexe, et Carrero trop surveillé.

L’attentat contre Carrero Blanco en rappelle un autre, fomenté par des militants chiliens contre le général Pinochet, en 1986. Notamment raconté dans Les Derniers exilés de Pinochet de Xavier Montanyà (Agone, 2009), ce projet d’embuscade au lance-roquette dans la cambrousse échoua d’un rien, le chauffeur du dictateur parvenant à les faire échapper dans des conditions dantesques alors que cinq soldats de son escorte perdirent la vie. Ici aussi, le but était clair : accélérer la chute d’un régime tyrannique en le frappant à la tête. Dans les deux cas, on se trouve face à des attentats situés du bon côté de l’histoire, où le qualificatif terroriste appliqué par le régime honni bascule une fois sa chute avérée.

Dans le cas de la pulvérisation de Carrero Blanco, un autre élément est à souligner : la popularité de cet acte auprès de la population espagnole, et même au-delà. Dans les manifs françaises des années 1970, il n’était pas rare d’entendre chanter à l’encontre d’un politique haï (Pasqua par exemple) « plus haut, plus haut, plus haut que Carrero ». Autre époque. Les blagues sur Carrero Blanco et son envolée stellaire, pourtant entrées dans la culture espagnole2, sont désormais pénalement réprimées en Espagne, où une jeune fille de 21 ans a récemment pris un an de prison pour avoir ironisé sur les réseaux sociaux au sujet du « voyage spatial » de Carrero Blanco. Alors que l’ETA a renoncé à la lutte armée depuis 2011, l’antiterrorisme terrorise désormais l’évocation même de la violence armée, comme s’il fallait effacer le souvenir du temps des bombes.

Par E.B

1 Son véritable auteur n’est pas Julien Aguirre, mais Eva Forest, journaliste et militante de la cause basque, qui sera emprisonnée en 1974 et subira des séances de torture. Le cinéaste Gillo Pontecorvo s’en inspira pour son film du même nom, Opération Ogre (1979). Les célèbres images de l’attentat où l’on voit la voiture s’élever dans le ciel en sont issues, et sont donc fictives.

2 Pour plus de détails, lire notamment « Operación Ogro : 50 años del magnicidio de Carrero Blanco », El Salto, 20/12/2023.

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