Politique dans les bacs

Bouquins de zik : « Des trucs qui te tiraillent en restant populaires »

Au programme de la toute jeune maison d’édition BPM, des formes littéraires très variées et un fil rouge : proposer une lecture politique de cultures musicales populaires.
Ahmir « Questlove » Thompson & Ben Greenman - Editions BPM

Fondées en 2022 par une équipe de mélomanes et d’activistes, les éditions BPM publient des textes sur les intrications entre musique et politique au-delà de ses formes flagrantes et textuellement engagées. « L’idée, c’est de montrer que tu peux avoir une multitude de formes littéraires différentes (monographie, texte universitaire, autobiographie, roman…) qui arrivent à mêler musiques populaires et politique, raconte Julien Bordier, un des fondateurs des éditions. Et qu’il y a du politique ailleurs que dans les espaces où on le formalise sur le plan institutionnel ou militant. »

L’équipe se laisse du temps pour sortir de sa zone de confort et, plutôt que de céder à la surproduction éditoriale, préfère se consacrer à la recherche de textes à traduire : « Tout est un peu trop pur dans l’édition sur la musique, poursuit Julien Bordier. Il existe d’autres bonnes maisons d’édition en France, mais soit très grand public, soit très intello. On manque de trucs qui te tiraillent en restant populaires. » Leurs deux premières publications s’attaquent à une culture musicale décriée de toute part : le hip-hop, comme mouvement artistique et culture urbaine.

Dans Know what I mean ? Réflexions sur le hip-hop1, le sociologue afro-américain Michael Eric Dyson pose ce constat : le hip-hop est jugé beaucoup plus sévèrement que les autres arts. Pointant des propos sexistes, une apologie de la violence ou de la consommation, les élites culturelles, politiques et médiatiques décrient souvent le hip-hop en alignant les clichés. Des travers pourtant issus de la culture dominante, dont il est logiquement imprégné. « Il est bien rare que d’autres productions artistiques comme les films, les pièces de théâtre ou les arts visuels, en particulier lorsqu’elles ont été créées par des non-Noirs, fassent l’objet d’attaques aussi violentes », écrit Dyson, insistant sur le fait que le hip-hop n’est ni un commentaire sociologique ni une critique politique, mais avant tout une forme d’art qui met en lumière « la politique, l’histoire et la question raciale contemporaine ».

Dans Mo’ Meta Blues – La musique selon Questlove2, c’est le batteur du groupe The Roots, Ahmir Thompson, enfant de la classe moyenne noire du Philadelphie des années 1970, qui se raconte à travers la musique. « Il nous parle de la guerre des maisons de disque, de la construction du rap aux États-Unis, des conflits entre artistes et des contraintes de l’industrie culturelle », explique Julien Bordier. Plus de 300 pages remplies de références musicales, qui racontent l’histoire mouvementée du hip-hop.

BPM ne compte pas se limiter au hip-hop et prévoit bien d’autres voyages en terres inexplorées. En avril est prévue la publication du texte d’un chercheur et musicien punk irlandais qui se demande si la première vague punk en Angleterre et aux États-Unis, à la fin des années 1970, est vraiment anarchiste. « Le livre va s’appeler Bakounine Vodka, en hommage au moment où Penny Rimbaub, des Crass, avait dit en interview : “Si on nous avait parlé de Bakounine, on aurait pensé à une marque de vodka.” » Autre réjouissance au programme, traduite de l’allemand cette fois, Swing Kids : un bouquin « sur les contre-cultures qui se réunissent autour de la musique, et du jazz en particulier, dans l’Allemagne des années 1930, avec des bandes de jeunes qui vont se battre contre les Jeunesses hitlériennes. » Rencard au printemps, chez les libraires copain·es !

Par Jonas Schnyder

1 Paru en 2007 aux Etats-Unis, il est traduit et publié par BPM en octobre 2022, avec une préface de Jay-Z et une postface de Nas

2 En collaboration avec Libertalia, avril 2023.

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CQFD n°223 (octobre 2023)

Ce numéro 223 inaugure notre nouvelle formule et n’a pas de dossier thématique. Ceci dit, plusieurs articles renvoient à un même thème, celui d’une France embourbée dans ses vieux démons. On y refait l’histoire de la stigmatisation du voile à l’école, on y raconte comment la parole xénophobe la plus crasse s’est libérée autour des arrivées à Lampedusa, on y parle de squats expulsés et d’anti-terrorisme devenu fou... Bref, on passe la France au scalpel et ça pue pas mal. Heureusement tout un tas de chouettes chroniques et recensions viennent remonter le moral !

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