Sur la Sellette - Chroniques judiciaires

Sport d’hiver

En comparution immédiate, on traite à la chaîne la petite délinquance urbaine, on entend souvent les mots « vol » et « stupéfiants », on ne parle pas toujours français et on finit la plupart du temps en prison. Une justice expéditive dont cette chronique livre un instantané.
Illustration de Jérémy Boulard Le Fur
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2024

Après un mois de détention provisoire parce qu’il avait demandé un délai pour préparer sa défense, Tarek D. comparait pour vol, rébellion, violence volontaire contre deux gendarmes (trois jours d’interruption totale de travail pour l’un, aucun pour l’autre) et maintien irrégulier sur le territoire.

En décembre dernier, il a volé chez Carrefour une banane, une clémentine, un peigne, de la crème hydratante et du bain de bouche. La sécurité a appelé les gendarmes, dont le président vante aujourd’hui la bienveillance, parce qu’ils n’ont pas menotté tout de suite le prévenu. Et pourtant l’ingrat en a profité pour essayer de s’enfuir. L’interprète traduit ses explications :

—  J’ai eu peur parce que j’ai déjà été incarcéré et que je me suis dit qu’ils allaient me prendre pour un criminel.

Ce qui agace le président, c’est que le prévenu ne reconnaisse pas les violences :

—  Il y a un gendarme qui a une côte cassée et l’autre qui présente une trace de morsure sur l’avant-bras. Vous l’avez mordu sans faire exprès peut-être ?
—  Je n’arrivais pas à respirer, je me suis débattu.
—  Quand les gendarmes ont l’amabilité de ne pas vous menotter, on ne les mord pas ! Par ailleurs, vous avez passé 40 jours en prison pour un vol l’année dernière. Vous êtes sorti en août et on vous retrouve en train de voler en décembre ! Du point de vue de votre situation administrative, vous avez une obligation de quitter le territoire français. [À l’interprète] Il a bien compris qu’il ne peut pas rester ici ?

Tarek D. répond qu’il veut faire des études.

—  Il s’inscrira à la fac à Alger ! Bon, et maintenant il peut s’asseoir.

L’interprète traduit, le président commente :

—  Même ça, il ne comprend pas !

L’avocat des gendarmes est excédé que le prévenu se plaigne d’avoir été maltraité.

—  D’expérience, tout se passe toujours bien quand les prévenus se conduisent correctement.

Au moment d’évoquer le préjudice, il se fait grave :

—  Monsieur T. a dû regarder ses enfants dans les yeux et leur annoncer : « Cette année, je ne pourrai pas venir au ski avec vous. »

Là-dessus, il demande 1 200 € par gendarme pour leur préjudice moral et 500 € pour les frais d’avocats.

La procureure est à l’unisson :

—  Il est insupportable de voir des individus contester l’autorité des gendarmes. Monsieur n’a visiblement pas tiré les leçons de son passage dans les prisons françaises. Je demande donc une peine sévère : douze mois d’incarcération et cinq ans d’interdiction du territoire.

Pour illustrer le fait que Tarek D. n’a pas volontairement blessé les policiers, l’avocate de la défense cite les déclarations des gendarmes : « En voyant qu’il voulait s’enfuir, nous l’avons maintenu au sol avec mon collègue pour lui mettre les menottes. Pendant qu’il se débattait, j’ai reçu des coups dans les côtes. »

Peu importe : après une courte suspension, le prévenu est condamné à un an de prison, maintenu en détention et interdit du territoire pendant cinq ans. Il devra aussi verser 1 000 € à chaque gendarme en plus de leurs frais d’avocat.

Par La Sellette

Retrouvez d’autres chroniques sur le site :lasellette.org.

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