Fièvre néonazie en ex-RDA à la chute du mur

Potsdam ! Potsdam ! Antifa !

Contrairement à une idée reçue, l’émergence d’une sous-culture nazie en Allemagne de l’Est n’a pas seulement été la conséquence des destructions massives d’emplois qui ont suivi la chute du mur de Berlin. Dès le milieu des années 1980, des groupes de skinheads néonazis agressaient tout ce qui était vu comme « étranger » ou « inférieur » (Untermensch). Et de jeunes antifas s’auto-organisaient pour porter la contre-offensive. Souvenirs du collectif de Potsdam.
Leipzig, le 5 février 1992. Les groupes néonazis s’affichent sans complexe dans les « Montagsdemo » (manifestations du lundi) / Photo Hassan J. Richter

Aujourd’hui quinquagénaire, « René » revend des lampes et du mobilier industriel de l’ex-RDA au Boxi, le marché aux puces de Berlin-Est. Il a fait partie de cette première génération d’antifas déterminés à ne pas se laisser faire. Il a même gardé son pseudo de l’époque, qui sonne très « Résistance française » : « À l’époque, dans les villes d’Allemagne de l’Est, la violence de rue était très extrême : jusqu’à trois bagarres par semaine. Nous avons dû faire le coup de poing pour chasser les nazis de nos quartiers. »

« Nazis raus ! »

À l’automne 1987 à Potsdam, ville limitrophe de Berlin, un collectif d’une vingtaine de jeunes, issus de la scène alternative, se constitue en groupe antifa, exaspéré d’avoir à subir des attaques répétées. Le 6 novembre, une distribution nocturne de tracts – action illégale en RDA – scelle leur acte de naissance. Tapé maladroitement à la machine à écrire et ronéotypé, le flyer informe sur les menées des crânes rasés bas de plafond. On peut y lire : « Leurs ennemis déclarés sont les étrangers, les Juifs, les rouges, les cheveux longs, les punks, les homosexuels, les anarchistes, les gauchistes, les chrétiens et tous ceux qu’ils appellent les non-Allemands. »

« Je me suis souvent demandé ce qui motivait ces jeunes nazis, réfléchit René. Comme eux, nous étions de jeunes prolétaires fascinés par les sous-cultures adolescentes, qui correspondaient à une aspiration à l’autonomie. Sauf que nous avions choisi le punk et la new-wave et eux la scène skinhead nazie la plus brutale. Et comme le pouvoir de RDA se revendiquait de l’antifascisme historique, par esprit de contradiction, ils voyaient dans le nazisme le truc le plus subversif au monde. Aujourd’hui encore, je ne crois pas que les facteurs sociaux, comme le chômage ou l’immigration, expliquent à eux seuls le choix de devenir un extrémiste de droite. Il faut une préparation idéologique en amont. » Dans le contexte de plein-emploi de la RDA, la main-d’œuvre immigrée, principalement originaire d’autres pays socialistes (Vietnam, Pologne, Mozambique, Cuba), était alors peu nombreuse et circonscrite à quelques secteurs industriels.

« Notre objectif principal était de sensibiliser l’ensemble de la société est-allemande, qui était dans le déni, à la montée de cet extrémisme. Ainsi, en septembre 1988, devant 300 jeunes évangélistes dans une église à Potsdam, nous avons présenté un film Super-8 que nous avions réalisé », se souvient René.

Dans le même temps, le groupe doit se confronter à la répression de l’État. Le 10 septembre 1989, ses membres tentent de déployer une banderole « Il y a aussi des néonazis en RDA » lors d’une commémoration officielle de la « Journée des victimes du fascisme » ; mais les forces de l’ordre les frappent et deux d’entre eux sont enfermés par la Stasi pendant deux mois sous l’inculpation « d’agitation contre l’État et hooliganisme ». Dans l’hiver 1989, le groupe antifa réussit une mobilisation de plusieurs milliers de personnes pour commémorer les pogroms antisémites de la nuit de Cristal de 1938 en présence de survivants de la Shoah. « Le soir même, le mur de Berlin tombait, ouvrant une ère de montée du nationalisme », évoque Hassan, autre participant au groupe de Potsdam, aujourd’hui photographe spécialisé dans les vestiges du monde soviétique.

« Wir sind ein Volk ! »

Paradoxalement, l’ouverture du mur et la réunification vont marquer la fin de cette expérience autonome. Après y avoir participé avec enthousiasme, le collectif de Potsdam se retire en décembre 1989 du processus Wende Le Tournant ») et des forums qui animent la révolution pacifique. L’hiver 1989-1990 correspond au moment où les bandes de nazis cherchent à prendre la tête des manifestations du lundi à Leipzig, fer de lance de la contestation anti-régime.

Dans des notes collectives rédigées depuis par les militants de l’époque, ces derniers évoquent leur sentiment d’impuissance face aux mutations de la décennie 1990 : « Les slogans sont passés de “Nous sommes LE peuple !” à “Nous sommes un peuple !” ou encore “Allemagne, patrie unie”. En même temps que l’influence des politiciens de droite venus de l’Ouest augmentait, la terreur des néonazis dans les rues a pris des proportions effrénées. » Et René d’ajouter : « Dans les années 1990, on aurait dit qu’être néonazi était devenu le truc le plus à la mode chez les jeunes Est-Allemands. Une mode qui s’est soldée par plus d’une centaine de morts liées aux seules agressions de rue... »

« Le 28 mai 1992, avec des camarades de Berlin, nous avons organisé l’attaque d’un rassemblement de néonazis, se souvient Hassan. C’était très violent. On les a explosés, en envoyant quelques-uns à l’hosto. » Potsdam était devenu un carrefour du mouvement des squatteurs en Allemagne de l’Est. Les nazis ne venaient plus dans le centre historique. Les membres du groupe se replient sur leurs activités. Mais dans le même temps, une campagne orchestrée contre les lieux d’hébergement de migrants culmine avec les émeutes racistes contre des foyers de travailleurs vietnamiens à Rostock, fin août 1992. En juin, 100 000 prospectus proclamant « Rostock doit rester allemand » avaient été distribués dans cette ville de la côte baltique afin de préparer les esprits aux pogroms.

Les vétérans de Potsdam ont maintenu des liens avec les nouvelles générations antifascistes, surtout depuis les cinq dernières années qui ont vu l’émergence et le développement du mouvement Pegida et du parti AfD. Aussi, dans la continuité indirecte et l’esprit de ce premier groupe antifa, le club de foot amateur de 4e division Babelsberg – un quartier de Potsdam – est connu dans toute l’Allemagne pour son positionnement clairement antiraciste. Plutôt qu’un sponsor commercial, le club a choisi de floquer ses maillots du logo Seebrücke, en soutien à une ONG de sauvetage des réfugiés en mer. En outre, Ses supporteurs ultras brandissent des tifos « Nazis raus ! » (« Les nazis dehors ! ») et ont pris pour emblème l’effigie du spartakiste Karl Liebknecht, assassiné par les Freikorps qui écrasèrent la révolution de 1919, préfigurant en quelque sorte les futures milices nazies.

Mathieu Léonard

À lire aussi

 « Néonazis, police allemande : les liaisons dangereuses », CQFD n°182 (décembre 2019).

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