En finir avec les raccourcis

Immigration = terrorisme ? Foutaises !

« Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes / Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants / L’affiche qui semblait une tache de sang / Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles / Y cherchait un effet de peur sur les passants. » On peut être stalinien et écrire de très beaux poèmes, ainsi que le démontrait Aragon dans son Strophes pour se souvenir (1955). Il évoquait dans ces vers la triste affiche rouge pondue par l’occupant nazi en 1944 pour fustiger les résistants du groupe Manouchian, qui ne tarderont pas à être exécutés. Y était mentionnée en légende l’origine de 10 «  terroristes  » de cette « armée du crime », aux visages en médaillons sombres : Manouchian, arménien ; Rayman, juif polonais ; Fontanot, communiste italien… L’effet recherché : dépeindre les résistants comme de dangereux apatrides venus polluer la belle France avec leurs gueules de métèques, de juifs errants, de pâtres grecs. Vieille recette.

De Marine Le Pen à Stéphane Ravier, les cadors de la fachosphère ressortent à intervalles réguliers l’équation « immigration = terrorisme ». Une partition classique dans leur camp, entonnée tout au long du 20e siècle, de l’Action française à Ordre nouveau. Le hic : cette rhétorique n’a cessé de s’étendre à tout l’éventail politique dans les années 2000. Ce que le chercheur Vincent Geisser désigne comme une « corrélation magique »1 entre immigration et terrorisme est ainsi devenue banale chez LR, à l’image de Valérie Pécresse clamant le 30 octobre 2020 dans Le Figaro  : « On ne peut plus aujourd’hui donner l’asile à nos ennemis », enjoignant les musulmans à « déclarer d’une voix forte » qu’ils dénonçaient le terrorisme islamiste. Quant à Macron, il louvoyait à la même période : « Il nous faut regarder lucidement les liens qui existent entre ces deux phénomènes. » Une atmosphère de suspicion, aux relents ainsi détricotés par le chercheur Didier Bigo : « Le discours sécurisant l’immigration est alors en position de force symbolique et devient une technologie politique, une modalité de la gouvernementalité contemporaine2. »

À une époque où les attentats sanglants en France suivent des logiques de moins en moins exogènes, le rapport entre terrorisme et immigration a été invalidé par plusieurs études. Deux chercheurs de l’université de Warwick (Angleterre) ont ainsi croisé les données de 145 pays entre 1970 et 2000, pour un résultat qu’un article de Slate3 résume ainsi : « Il ressort de leurs conclusions que si le terrorisme peut s’appuyer sur les réseaux migratoires pour recruter et répandre son idéologie, les flux de migrants en eux-mêmes ne contribuent pas à une montée du terrorisme dans les pays d’accueil. C’est même plutôt le contraire : plus l’immigration augmente, moins la menace terroriste est présente. » Dit autrement par la spécialiste des migrations Catherine Wihtol de Wenden, la proportion d’étrangers dans le nombre d’attentats ou tentatives d’attentats est « complètement marginal[e] statistiquement […]. Il n’y a pas de lien entre les flux migratoires et le terrorisme4 ». Au temps pour les souffleurs de haine.

Par Émilien Bernard

1 Lire l’étude sur lequel cet article s’appuie beaucoup : « Immigration et terrorisme : “corrélation magique” et instrumentalisation politique », Migrations Société n°182, 2020.

2 « Sécurité et immigration : vers une gouvernementalité par l’inquiétude ? », Cultures & conflits n° 31-32, 1998.

3 « Une nouvelle étude démontre que ­l’immigration ne favorise pas le terrorisme », 18/02/2016.

4 « Existe-t-il un “lien entre immigration et terrorisme”, comme l’affirment certains politiques de droite et d’extrême droite ? », France Info, 05/05/2021.

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