Juste un jeudi comme les autres

Hugo TSR : « Ici, tout est gris »

Le dernier album du rappeur Hugo TSR, Jeudi (2023) emprunte le chemin bien connu des gares et des trains, là où les rails ne semblent plus mener grand monde vers un avenir radieux, où les fureurs internes résonnent avec celles de l’extérieur.

Des morceaux qui sentent le béton mouillé de la capitale et respirent les colères sincères de celles et ceux qui accumulent seum et galères au quotidien. Irremplaçable dans son genre, Hugo TSR cisaille les prods boom-bap de rimes agiles et percutantes depuis une vingtaine d’années. Parisien du 18 e, indépendant depuis toujours, Hugo a pris de l’âge mais Jeudi, son dernier album sorti en 2023, sonne toujours juste. En six tracks, il nous emmène dans le quotidien amer d’un conducteur de train, où les rails sont la métaphore d’un piège tendu à celles et ceux bloqué·es dans la routine du taf quotidien.

Premier son. Hugo ouvre les yeux « une minute avant qu’le réveil sonne/La routine, je me lève tôt, à l’heure où y a personne », puis c’est café-clope sans croissant et direction le taf où « tous les jours c’est repeat. » Traînant des pieds jusqu’au dépôt, il file vers son «  cockpit  », la cabine du conducteur, pour se retrouver seul dans ses abysses, là où il sent mieux. Depuis son siège, il observe alors les faux-semblants des passagers d’un jour, les flics qui jouent aux hippies et les millionnaires qui « jouent aux gentils ». Il y a les contrôleurs aussi, petits shérifs dépravés que Hugo déteste. Et malgré les contraintes qui pèsent sur ces tafs de misères, il n’excuse rien : « Pendant qu’j’conduis, il dresse des PV sans merci / J’pourrais pas faire ça, “y a pas d’sot métier”, en fait si […] Ta galère fait son bonheur, où est son honneur ? Faites les billets gratuits, et payez plus les contrôleurs. » Le quotidien, c’est aussi la menace du licenciement qui pèse sur toutes les têtes. Confortable dans son CDI, Hugo se met à douter quand il voit ses collègues se faire licencier : « Le licenciement, c’est comme les accidents : c’est pour les autres / Positif, j’me sens zen, mais j’m’agite […] Peut-être que l’bruit court, qu’j’suis dans le collimateur. » La fragilité de l’emploi et les horaires contraints, « ici tout est gris […] une grisaille viscérale, une vie sociale misérable », mais ça le rassure d’avoir à suivre des rails. Entre deux sons construits sur le texte et la description, on croise des instrumentales, où la musique et les samples de bruits de la ville se font l’écho d’un quotidien terne.

« Si j’pouvais changer ce train de vie », se demande Hugo. Mais comme toutes celles et ceux contraint·es au travail de misère et abîmé·es par son rythme, le personnage qu’il incarne est piégé. La fin de l’album se profile et arrive Ivan, « un mec bizarre, un fou qui m’lâche pas. » Incarnation de son inconscient, portée par la voix de Jazzy Bazz, il vient lui rappeler les opportunités ratées et instille le doute : « Tu t’orientes exprès vers ta propre amertume face au manque d’espèce / Ton masque cache une autre peur /Tu crois que j’te parle de cash, plutôt du bonheur ». Incapable de sauter d’un train qui file à toute vitesse, il ferme les yeux et attend le choc… et l’Outro de Sofiane Pamart nous laisse imaginer la scène, ou inventer une autre fin possible.

Par Étienne Jallot
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