Dans mon salon

Être chez soi partout

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un salon. Ce mois-ci, on circule entre véhicules de loisirs, rêves d’évasion et inégalités de classe.
Par CQFD et Pixabay

Devant le stand du magazine Van Life, deux vieux copains commentent des photos du mythique combi Volkswagen. Vont-ils en acheter un ? « On n’a pas les moyens, on est là pour rêver », me répond Roger. Rêve. Évasion. Liberté. Ces mots courent sur toutes les lèvres et panneaux publicitaires du Salon des véhicules de loisirs qui se tenait au parc expo de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, du 7 au 15 octobre. « À 57 ans, j’ai fait le tour d’Europe en 6 mois », me raconte Laurence qui cherche dans ses voyages « un mode de vie simple ». Son van lui a coûté 60 000 euros. « C’est clair que la plupart des gens, ici, ont du pognon », rit-elle. Solution pour les autres, l’organisme de crédit Loisirs Finance vend ses services.

« Allez là où personne ne va », lit-on sur leurs brochures. Visitant des camping-cars flambant neufs, je croise un jeune couple s’inspirant des modèles exposés pour aménager leur camion à peu de frais. Trouvent-ils des lieux où personne ne va ? « C’est rare, tous les spots sont référencés », me répond Flavie. « Certains sites sont saturés à la haute saison, surtout depuis le Covid, on est en plein boom », m’explique Marie, assistante de direction chez Park4Night. L’appli met en lien 6 millions d’utilisateurs dans le monde à la recherche d’un « coin sympa où passer la nuit ». Sécurité ? Confort ? Nature ? La start-up garantit une aventure «  responsable  » selon des critères prédéfinis.

Du côté des caravanes, Christophe, retraité de La Poste, a les boules : « On est venus de Wimereux avec ma femme et mon fils pour visiter une Bürstner qu’on veut acheter d’occasion, mais ils n’exposent que les modèles les plus chers. » D’un signe du menton, il m’indique une sorte de bus noir et or, dont le coffre ouvert abrite une Porsche. Dans la file d’attente pour visiter le mastodonte, une ado s’emballe : « Avec 3 000 euros par an pendant 21 ans, on peut se le payer ! » À l’intérieur, son petit frère s’affole : « Y a qu’un lit pour les grands, comment on va faire ? — T’inquiète, c’est pas pour nous », répond leur mère. « On appelle ça un véhicule de croisière », me dit un type en costard alors que je descends les marches feutrées reliant les firmaments du luxe au sol en lino de la terre ferme. Crâneur, il me raconte sa dernière vente : « Un million cinq. C’était un couple de trentenaires. Des bosseurs. Ce qu’ils cherchent ? Voyager en faisant du télétravail. Pourquoi ils vont pas à l’hôtel ? Parce qu’ils veulent être chez eux partout. » « Y a les riches et y a les pauvres », résume Géraldine. Avec son mari, ils font partie d’un caravaning club dans l’Essonne. Chaque année, ils quittent les « quatre murs de leur HLM » et s’installent huit mois sur un terrain de camping dans lequel leur caravane est plantée1. De là, ils ne bougent pas ! Et le rêve ? L’évasion ? La liberté ? À ces injonctions, Géraldine répond : « Après avoir trimé toute ma vie et suite à deux cancers, je voulais être dans un carré de verdure, entourée de bons copains. Mon rêve, je l’ai. »

Par Pauline Laplace
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CQFD n°224 (novembre 2023)

Sidérés. Par les milliers de morts, les bombardements, l’ouragan de haine, de désinformation et d’indignation sélective qui ont accompagné la guerre au Proche-Orient et la guerre entre Israël et les factions palestiniennes. Voilà ou nous en étions, en essayant de concocter ce numéro 224 de CQFD. Alors, comme début d’une réflexion, on a donné la parole au collectif juif décolonial Tsedek ! et on est allés faire un tour dans les manifs pour la Palestine. Dans nos pages, aussi des nouvelles de Marseille, toujours autant vampirisée par la plateforme AirBnb, mais qui s’organise pour lutter contre. On y propose aussi un suivi du procès des « inculpés du 8 décembre » et ses dérives, on y dézingue les « ingénieurs déserteur ». Côté chroniques, #Meshérostoxiques interroge l’idole de jeunesse Sid Vicious, #Dans mon Salon fait un tour au Salon des Véhicules de Loisirs et #Lu Dans nous donne à lire les anarcho-communistes allemands.

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