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CQFD parle dans le poste radio au cours de l’émission « Presse Libérée » tous les deuxièmes mardis du mois de 11h30 à 13h en direct sur Radio Galère, rediffusé tous les deuxièmes vendredis du mois de 12h30 à 14h sur Radio Zinzine..

En Une : "La croissance repart !" de Sirou.

Le dossier : « Ne plus rien attendre de l’État ? »

« Dans un monde aujourd’hui insupportable et qui, bientôt, le sera bien plus encore, il est temps pour chacun de se prendre en main, sans attendre indéfiniment des solutions miraculeuses », professe Jacques Attali dans son dernier opus, en vente dans tous les halls de gare. Il y encourage ses contemporains à « ne plus rien attendre de l’État ». Plutôt cocasse de la part d’un type qui vit pendu depuis trois décennies au croupion de ce même État en tant que conseiller des princes.

Derrière le discours néolibéral sur l’indispensable désengagement de l’État se cache une relation incestueuse entre la puissance publique et les intérêts privés. On a affaire là à un Janus hypocrite – ou schizo… D’un côté il organise l’auto-sabordage, puis la privatisation de ses services publics – la Poste, la santé, l’éducation, Pôle emploi… –, et de l’autre il n’hésite pas à renflouer, en 2008, les banques spéculatives – juste après avoir clamé que ses caisses étaient vides ! Cette apparente contradiction peut-elle être rectifiée de l’intérieur ? Peut-on espérer, en votant Syriza, Podemos, Die Linke ou Front de gauche, revenir à un supposé âge d’or du capitalisme industriel, quand la finance était au service de la production et pas le contraire ?

Rappelons que l’appareil étatique n’a jamais été une entité philanthropique servant d’arbitre entre le fort et le faible. Lorsqu’au XIXe siècle il dote le territoire d’un dense réseau de chemin de fer, c’est que le capital a besoin de transporter matières premières et produits manufacturés. Lorsqu’il instaure l’éducation gratuite et obligatoire, le patronat est friand de personnel compétent. Lorsque Keynes prône une (relative) répartition des richesses, il se trouve que le marché a besoin de nouveaux consommateurs. Et lorsque aujourd’hui le Léviathan s’auto-démantèle, c’est parce que la concurrence exacerbée du marché mondial exige la privatisation des services. Dans chacune de ces étapes, il est en adéquation avec les besoins de l’économie. L’État régulateur de Keynes, tout comme la planification soviétique, n’a été qu’un moment du capitalisme.

Lutter contre la grande braderie des acquis sociaux et des services publics est bien sûr légitime, mais sauf à croire qu’un retour aux Trente Glorieuses est possible – et souhaitable ? –, on est en droit de critiquer les effets pernicieux de ce paternalisme. On serait bien avisé, sauf à rêver d’un salaire universel administré par un nouvel État « total » – l’État jusque dans la soupe ! –, d’imaginer une vie ailleurs.

« Dans les démocraties, les citoyens […] sont consommateurs égoïstes de services publics qu’ils ne songent plus eux-mêmes à rendre aux autres. […] Je nomme ces gens – largement majoritaires, et pas seulement au sein des démocraties – les “résignés-réclamants”. Résignés à ne pas choisir leur vie ; réclamant quelques compensations à leur servitude. »

Dans la bouche d’un grand valet de l’État comme Attali, ce constat plein de mépris n’est bien sûr qu’une énième couche de mélasse sur la tartine ultra-libérale. Néanmoins, une fois écarté le baratin égocentré du coach sarko-mitterrandien, il faut reconnaître qu’il y a du vrai là-dedans. Partout où l’État a mis les mains, la société a perdu en culture de l’entraide et en liberté de manœuvre. Partout où l’État avance, la société civile recule. En France, l’administration, qui a servi de modèle à la bureaucratie soviétique comme au parti d’État mexicain, a tendance à investir toute la vie sociale, jusque dans la gestion des grandes émotions collectives (« Je suis Charlie »). Quel secteur économique n’est pas branché sur ses mannes ? Presse, agriculture, industrie, secteur associatif et culturel… L’État règne partout, et jusque dans les têtes. Là où plus au sud la densité des liens sociaux est la condition indispensable à la survie de chacun, ici, l’individu établit une relation solitaire avec l’administration : qui pour obtenir une subvention, qui pour le RSA, les APL, l’ASS, la CAF, la prime agricole, un emploi aidé… Est-ce un hasard si les Français sont champions de la consommation d’antidépresseurs remboursés par la Sécu ? Demandez aux étrangers, surtout s’ils viennent du Sud : « Les Français sont râleurs, déprimés, on dirait qu’ils n’ont pas de sang dans les veines, ils ont du mal à prendre des décisions collectives sans tomber dans des questions d’ego… » Ces préjugés ont leur part de vérité. Les grands mouvements sociaux (CPE, retraites, 1995…) auxquels l’ère sarkozique a cassé les reins ont fait l’admiration de nos voisins, mais vu d’ici, le soufflet retombait vite dans la morosité. On avait parfois cru vivre les frémissements d’un grand soir, mais même les barricades se focalisaient sur l’État. Peu d’expériences pérennes et d’espaces communs survivaient à ces éphémères flambées de colère.

Les temps de crise où le système tremble sur ses bases voient surgir des résistances populaires pleines de promesses. C’est le cas de l’Argentine en 2001, de la Grèce depuis quatre ans, mais aussi, finalement, partout où l’État est vécu comme un corps étranger, coercitif et corrompu, et où le soutien mutuel demeure un ciment à la fois vital et spirituellement revigorant. C’est le cas des communautés zapatistes du Chiapas qui refusent toute aide de l’État et construisent des cliniques, des écoles, des coopératives de production et des organes de démocratie directe en ne comptant que sur leurs propres forces. Car là où l’État se retire en faisant des courbettes aux grands prédateurs, le darwinisme social des Anglo-Saxons fait des ravages ; ailleurs, ce sont les mafias ou les intégristes de tout poil qui s’immiscent dans les espaces laissés vacants. L’alternative réside dans une réappropriation-relocalisation-autonomisation de l’activité humaine. Non pas solitairement, comme le prescrit le pathétique gourou Attali, mais en associations librement consenties. Une utopie bien plus concrète et enthousiasmante que l’illusoire retour à l’État-providence…

Bruno Le Dantec

D.R.

« Adièu, paure Carnavàs ! » : Une joyeuse victoire > Le carnaval indépendant de La Plaine et de Noailles (quartiers populaires du centre de Marseille), menacé d’extinction par le sécuritarisme ambiant, s’est célébré de belle façon le 15 mars 2015. « Même pas peur ! » 2 000 carnavaliers venus des quatre coins de la ville, mais aussi de l’étranger, ont envahi les rues, défilant en fanfare et en grande pompe déguisée, chantant et dansant en farandoles, avant de juger et brûler le vieil Hiver et tous ses maux.

Grèce : Une santé autogérée > Dans une Grèce frappée par un ouragan de réformes néolibérales, la population s’est souvent vue obligée, pour lui survivre, de compter sur ses propres forces. Exemple : depuis 2012, des cliniques autogérées ont remplacé un système de santé publique en voie d’effondrement.

Royaume-Uni : À mort les pauvres > À quelques semaines des élections générales britanniques, la coalition conservatrice au pouvoir se targue d’avoir relancé le pays sur les rails de la croissance. Pour qui s’attarde sur son bilan social, en revanche, les louanges sont moins flamboyantes : depuis son arrivée au pouvoir en 2010, on compte environ 100 000 sans-abri supplémentaires dans tout le royaume.

Royaume-Uni (bis) : Sous-traiter l’État social > En matière de saillies néolibérales, il faut reconnaître au Royaume-Uni son caractère novateur. Lorsqu’en 2010, David Cameron lançait son projet de « Big Society », la plupart de ses électeurs croyaient assister à la renaissance du Conservative Party, alors écorché par quatre défaites consécutives face aux travaillistes et encore marqué par l’ombre thatchérienne.

Les articles

Dernières cartouches : Droits rechargeables > Présentée à l’automne 2014 comme une avancée sociale par la CFDT et le Medef, la nouvelle convention Unedic sur les droits rechargeables a surtout eu pour effet de rogner l’indemnisation de 500 000 chômeurs. Une vraie régression très partiellement corrigée par le nouvel accord du 25 mars dernier.

Construction européenne : c’est la mafia qui fournit le ciment. Entretien avec le sociologue Alain Tarrius. > Quand il nous reçoit dans sa maison de Prades (Pyrénées-Orientales), le sociologue Alain Tarrius rit. Lors d’un entretien avec des prostituées dans un bar, des clients l’ont pris pour leur « mac boiteux ». Claudiquant jusqu’à son bureau, ce souvenir continue de l’amuser. Il y a quatre ans, on avait déjà parlé de ses études autour des transmigrants, acteurs « invisibilisés » de la mondialisation du poor to poor : pour les pauvres, par les pauvres. D’un côté des migrants afghans qui transportent de la marchandise depuis le Sud-Est asiatique ; de l’autre, des femmes originaires des Balkans ou du Caucase venues vendre leurs corps dans un des 272 bordels du Levant espagnol. Le professeur émérite de l’université Jean Jaurès de Toulouse vient de sortir deux bouquins, deux nouvelles étapes dans ses recherches sur la « mondialisation criminelle ». Ses valoches bouclées pour de nouveaux vagabondages, il a accepté de répondre à quelques questions.

Reportage : À Tunis, le printemps est là > « Tunis, c’est fini. » Eh bien non, Libé (18/03) s’est trompé. Tunis est vivante. Vivante et chaotique. Les avenues bruissent au rythme des taxis jaunes et de la foule d’étrangers venue des quatre coins du monde pour assister au Forum social mondial (FSM).

Culture. Karimouche : du stand-up au chant, l’énergie de la scène > Elle a signé son premier album, Emballage d’origine, en 2010 (Atmosphériques), puis a écumé les scènes. La voici de retour avec Action (Pias/Blue Line, dans les bacs depuis le 29 mars), un joli disque de dix titres où elle déploie une nouvelle fois sa voix exceptionnelle. Elle était sur scène le 6 mars à Paris, pour un show quasi intimiste tout en beauté. On en a profité pour lui poser quelques questions. Chanteuse sensible et danseuse redoutable, Karimouche est une artiste à découvrir.

Presse libre en danger : « Spéciale dédicace » > Depuis 12 ans, Le Ravi décrypte, dans une veine souvent satirique, les tortueux arcanes de la politique provençale. Son indépendance éditoriale, pas tout à fait étrangère à ses actuels déboires financiers, mérite bien que CQFD lui consacre sa page 16, en allant à la rencontre de ses soutiens et en co-publiant une de ses enquêtes.

Les amis du Ravi > Certains s’engagent pour sauver les baleines, ou les bébés phoques, d’autres pour protéger les tritons des zones humides. Mais ceux-là se sont engagés pour sauver et soutenir un canard d’« enquête et satire en Paca ». Rencontres avec des lecteurs du Ravi qui ne baissent pas les bras.

Le FN se met au vert (de gris) > L’extrême droite braconne de plus en plus sur les terres de l’écologie. Enquête sur le « green washing » à la mode frontiste. Par Sébastien Boistel du Ravi.

Les chroniques

Chronique du monde laboratoire : Ils savent y faire, ces savants. > (...) À la fois champions de la gratuité et de la rentabilité, nos chercheurs en colère ne sont plus très loin de la franche manipulation quand ils organisent leurs journées de mobilisation nationale avec des manifestations de rue à l’allure estudiantine. (...)

Mais qu’est-ce qu’on va faire du…Sadomasochisme > 50 nuances de Grey, sûrement un des films les plus rentables de 2015, a quelque chose d’assez inquiétant pour qu’on s’intéresse à ce navet : des ados aux séniors fascinés, il soulève des foules qui s’identifient aux personnages de ce conte de fées moderne aux valeurs ultra-réacs. Et ça, ça fait froid dans le dos.

Je vous écris de l’usine : Jésus, reviens ! > Quand on pense CFDT, tout de suite viennent les qualificatifs de « traîtres » ou de « vendus ». Il se dit aussi que pendant l’esclavage, la CFDT aurait négocié le poids des chaînes. Existerait-il quand même, dans la maison dirigée par Notat, Chérèque et maintenant Laurent Berger, des syndicalistes cédétistes soucieux de vraiment défendre les intérêts des salariés ? La question est loin d’être incongrue, surtout lorsqu’on fréquente les représentants de ce syndicat dans ma boîte.

Cap sur l’utopie : Le capitalisme ou la vie ! > Quelques-uns des meilleurs ouvrages récents de critique acérée des saloperies trônantes prennent à cœur de ne pas glandouiller, de décocher déjà l’essentiel de leurs propos offensifs dans leur 4e de couv’ ou dans leur préface...

Ma cabane pas au Canada : Quand on s’attache à La Tache > Jeudi 22 mars, je quitte l’ambiance studieuse du local de CQFD pour un reportage à hauts risques quelques dizaines de mètres plus loin. Les décibels du groupe d’électro-clash King’s Queer font danser et sauter les gens mais précautionneusement : le plafond est bas. Le concert se déroule dans le sous-sol de chez Izzy et Kril. Bienvenue à La Tache… un autre lieu pas comme les autres de Marseille.

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1 commentaire
  • 3 mai 2015, 12:37

    « Néanmoins, une fois écarté le baratin égocentré du coach sarko-mitterrandien, il faut reconnaître qu’il y a du vrai là-dedans. Partout où l’État a mis les mains, la société a perdu en culture de l’entraide et en liberté de manœuvre. »

    CQFD d’accord avec Attali, les libertaires en phase avec les libéraux. Voir ça, et ensuite mourir.

    C’est vraiment triste de voir un journal comme le vôtre égarer ses lecteurs, que j’imagine plutôt jeunes, avec de tels contresens historiques et idéologiques.

    Votre vision partielle de l’histoire vous rapproche pas mal de la façon de faire des conspis : un peu de connaissance, mais pas de trop, embrigadée au service d’une idée bidon mais présentée de façon à avoir l’air subversive (pauvre Marcos, embarqué dans quelle galère !).

    Les extrêmes finissent pas se toucher dans la connerie. C’est triste...mais pas vraiment étonnant.

    • 4 mai 2015, 12:16, par Mécislas

      Où est le contresens historique ? J’aimerai bien que tu l’explicites. La critique de l’état n’est évidemment pas l’apanage des libéraux, mais se trouve l’enjeu d’un rapport de forces politiques qui existe, au moins, depuis le début du XIXe siècle. Il n’y a aucun contresens historique puisque rien ne rejoint ces deux critiques de l’état dans la pratique. La différence entre les militants de l’économie, type Attali, et la mise en pratique des communautés zapatistes est énorme. Et c’est notamment à partir de cette dernière que l’on peut trouver, aujourd’hui, la force et la conviction de faire sans l’état.

    • 4 mai 2015, 12:18, par Iffik Le Guen

      Cher lecteur, il semble que vous soyez plus à l’aise avec la mauvaise foi qu’avec le sens de la dérision. Non, nous ne faisons pas le SAV du gourou Attali, un moment grand thuriféraire de l’Etat, l’autre grand fustigateur de la pompe à phynances qui l’a nourri. Nous ne nous sommes pas privés de tacler fermement ce triste « conseiller des princes » au début de l’article que vous visez (mal). Non, nous ne pratiquons pas l’escroquerie intellectuelle à la sauce conspi. La question de savoir quoi et comment faire à l’ère du désengagement de l’Etat social est posée pour lancer un débat constructif avec nos lecteurs. Ce débat n’avancera certainement pas à grands coups d’anathèmes ou de réponses toutes faites. Non, nous ne nous reconnaissons pas dans les thèses ultra-individualistes ou communautaristes des libéraux-libertaires. Le journal se fait régulièrement l’écho des luttes s’inscrivant en défense des droits sociaux (lisez l’article que nous consacrons à la réforme des droits rechargeables dans ce même numéro). Il serait par conséquent plus intéressant que vous développiez - mais cela demande un peu de gymnastique intellectuelle - ce que vous entendez par « contresens historiques et idéologiques ». Nous passerions ainsi de la mauvaise foi à la critique constructive pour le plus grand bien de nos réflexions respectives.

    • 4 mai 2015, 18:34

      Certainement du mauvais poil, mais aucune mauvaise foi : je me contente de lire. Et ce que je lis, ce sont des idées toutes faites. Ça m’énerve : je le dis. Exemple : « partout où l’Etat avance, la société civile recule » (comment veux-tu que...). Comme si elle n’avait pas déjà été aplatie bien avant l’intervention étatique, la « société civile »...

      La meilleure, c’est encore celle-là : « L’Etat règne partout et jusque dans les têtes ». Sans déconner ? Et vous êtes allés voir ?

      Qu’est-ce qui vous permet de dire que les maxi-boules des françaouis, c’est l’Etat qui les lui colle ? Réponse : votre putain de doxa, que vous empruntez à Attali. Ben oui. C’est « je t’aime Jacques, moi non plus Attali », ton article.

      « L’appareil étatique n’a jamais été une entité philanthropique ». Evidemment, non. Bouh, bouh (grosse désillusion : je pleure). L’Etat est le produit de l’histoire, et donc de la lutte des classes. Le prolétariat, Karl...tu te souviens ?

      Les hexagonaux sont tristes...Les causes ? Voyons voir : le manque d’amour entre nous...l’absence d’artiste populaire véritable au pays de Ferrat et Brassens... les tabous de la gauche bien-pensante, qui en nous crevant les yeux nous conduisent dans le mur...les gosses qui savent plus écrire et les jeunes qu’on fourvoie dans les extrêmes ou dans la médiocrité (ou dans les deux)...les vieux qu’on enferme dans le peur...les élections qui se jouent entre la droite et la droite... le virage identitaire qui nous pend au nez...l’absence de journaux non démagos...l’esprit de chapelle qui se répand partout comme la peste...le rationalisme qui se débande de partout... Et surtout : le travail de sape systématique du bien commun. Il est devenu de bon ton de s’en branler ostensiblement, du bien commun. Chacun sa gueule, chacun ses appétits. Et respecte-moi, avant tout.

      Vous voyez, moi aussi je peux jouer au sociologue, comme à la télé, l’autre-là, celui qui a tout compris à son époque, et qui porte si bien le nœud papillon.

      Les Français, déprimés par le poids de l’Etat ? Trop de flicaille, c’est dans toute l’Europe...Mais ce n’est même pas le « trop de flicaille » qui vous démange. Non, j’ai bien lu : c’est l’Etat, que vous situez, bravo, quelque part entre Mexico et la Moscou soviétique. Hou, le vilain Léviathan. Enfin, vous avez le sens de la formule, c’est bien déjà. Mais pour dire quoi ?

      « L’alternative réside dans une réappropriation-relocalisation-autonomisation de l’activité humaine ». Ben bien sûr. Puisque tu le dis. Faut pas contrarier l’enthousiaste, ni attrister l’optimiste, ils le prennent mal en général, surtout quand ils chantent « la chenille qui redémarre ». Aujourd’hui, ils enterraient l’Etat. Chapeau les mecs.

    • 5 mai 2015, 12:28, par Jupiter

      Grosso modo, donc, tu reproches aux anarchistes de CQFD d’avoir des idées anarchistes quoi ? Pourquoi pas ! Reste que c’est quand même de mauvaise foi de ne pas faire de distinction entre le libéral Attali et les libertaires CQFDs, même pour un gaucho (?) étatiste. Mais vas-y ! Éclaire donc nos lanternes dogmatiques ! En quoi l’état, dans une perspective de lutte des classes victorieuses pour le prolétariat, serait donc une si bonne idée ?

      Après, passons à tes arguments :

      « Comme si elle n’avait pas déjà été aplatie bien avant l’intervention étatique, la »société civile« ... » WTF ? De quoi tu causes ? Qu’est-ce qui a aplatie la société civile AVANT l’état ? C’était quoi une société civile avant l’état ?

      « La meilleure, c’est encore celle-là : »L’Etat règne partout et jusque dans les têtes« . Sans déconner ? Et vous êtes allés voir ? » J’imagine que les gens de CQFD font comme tout un chacun, et comme toi-même dans la suite de ton commentaire (« Les hexagonaux sont tristes...Les causes ? Voyons voir »), ils ont des idées, des réflexions, des hypothèses sur ce qu’il y a dans la tête des gens. Rejeter leurs hypothèses au nom de « vous êtes pas dans la tête des gens, vous pouvez pas savoir » revient à tout simplement refuser tout équilibre dans le débat. Il y en a des raisons de se dire que l’état est très présent dans la tête des gens ! La première est quand même qu’ ’« il n’y en a pas un sur cent »...

      « L’Etat est le produit de l’histoire, et donc de la lutte des classes. Le prolétariat, Karl...tu te souviens ? » Je passe sur le ton méprisant... Parce que bon... le mien l’est sûrement tout autant ! Mais ça fait quand même un bail qu’on ne réduit plus l’histoire à la lutte des classes. Il y a en effet pas mal d’autres « moteurs historiques » autonomes (et aussi inter-dépendants) de la lutte des classes comme par exemple la technique, les phénomènes d’acculturation, l’état... Mais je ne m’attends pas du tout à ce que nous soyons d’accord ! Tant il me semble évident que tu as une grille de lecture du monde et de l’histoire... comment dire ça... Oui ! Une grille de lecture tout à fait totalisante pour ne pas dire totalitaire.

      « »L’alternative réside dans une réappropriation-relocalisation-autonomisation de l’activité humaine« . Ben bien sûr. Puisque tu le dis. Faut pas contrarier l’enthousiaste » ... J’en conclus que t’es pas d’accord avec cette phrase. Tu la juges trop enthousiaste. Et après ? Pourquoi ?

      En tout cas, il me semble évident que tu n’as pas lu ce numéro de CQFD. C’est dommage car tu aurais vu que les articles traitant du thème de l’état sont bien plus nuancés et intéressants que ne le sont tes rodomontades et tes raccourcis du genre « CQFD=Attali=libéralisme » ou « jeunes=analphabètes »... En bref, tu verrais que Attali et CQFD n’enterrent pas vraiment ni le même état, ni de la même façon, ni pour les mêmes raisons. Mais libre à toi de t’accrocher à ta doxa binaire.

      PS : c’est quoi cette histoire de nœud papillon ? Je sais pas pour les autres lecteurs, mais moi je vois pas de qui tu veux parler.

    • 5 mai 2015, 19:14

      Gasp ! Un pilier de Ce Qu’il Faut Détruire attendant des lecteurs qu’ils se montrent plus constructifs...

      Quand j’ouvre un journal, c’est en espérant y trouver un peu de réalité, ou un peu de raison, ou mieux : les deux réunis. Pas des citations des gourous de l’OCDE, des impressions personnelles ou des chimères de marginaux. La réunion de tout ça, j’ai assez dit ce que ça inspire. On se croit encore chez Rosa qu’on pointe déjà chez Benito.

      Après, libre à vous de faire des articles pour taquiner la lune. Ça se pratique quand même mieux de vive voix et pris de boisson, ce genre de sport de nuit. Constructifs, pfff...

      Attali fait partie de ces gens qui ont fusillé le socialisme français, et qui ont détourné la base de gauche de la gestion du bien public en les canalisant vers des combats sociétaux à peu près dénués d’intérêt, présentés comme radicaux et bourrés de moraline. Et ça marche : on moralinise à donf, et CQFD trouve que l’Etat rend les gens tristes. Alors que c’est la soumission à l’ordre des choses qui avilit les petites graines d’ananar !

    • 5 mai 2015, 22:19, par zorglub

      Dans leur livre posthume CQFD ou l’enfance retrouvée, Jacques Attali et Marcos dissertent amoureusement sur la connerie conspirationniste mais comme disait Jacques Audiard, le seul penseur qui vaut son pesant de cacahouètes ici bas : Je ne parle pas aux cons, ça les instruit !

    • 5 mai 2015, 23:07, par A.Tachtoux

      C’était pas Jacques, c’était son père, Michel Audiard. Qui ajoutait, pas chien : « faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ! »

    • 6 mai 2015, 09:27, par Engels

      "La société antérieure, évoluant dans des oppositions de classes, avait besoin de l’État, c’est à dire, dans chaque cas, d’une organisation de la classe exploiteuse pour maintenir ses conditions de production extérieures, donc surtout pour maintenir par la force la classe exploitée dans les conditions d’oppression données par le mode de production existant (esclavage, servage, salariat). L’État était le représentant officiel de toute la société, sa synthèse en un corps visible, mais cela, il ne l’était que dans la mesure où il était l’État de la classe qui, pour son temps, représentait elle même toute la société : dans l’antiquité, l’État des citoyens propriétaires d’esclaves ; au moyen âge, de la noblesse féodale ; à notre époque, de la bourgeoisie. Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui même superflu. Dès qu’il n’y a plus de classe sociale à tenir dans l’oppression ; dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l’anarchie antérieure de la production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n’y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un État. Le premier acte dans lequel l’État apparaît réellement comme représentant de toute la société, la prise de possession des moyens de production au nom de la société, est en même temps son dernier acte propre en tant qu’État. L’intervention d’un pouvoir d’État dans des rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des processus de production. L’État n’est pas « aboli », il s’éteint. Voilà qui permet de juger la phrase creuse sur l’« État populaire libre » (Volkstaat), tant du point de vue de sa justification temporaire comme moyen d’agitation que du point de vue de son insuffisance définitive comme idée scientifique ; de juger également la revendication de ceux qu’on appelle les anarchistes, d’après laquelle l’État doit être aboli du jour au lendemain."

    • 6 mai 2015, 11:34, par Karl M.

      Si Engels le dit, alors ça doit être la pure vérité vraie. Et quel optimisme !

    • 6 mai 2015, 13:38, par Abel Tiffauges

      "6 mars 1938. À la préfecture de Police pour un changement de carte grise. Files d’attente mornes et résignées devant des guichets où aboient des femmes laides et hargneuses. On rêve d’un bon tyran qui supprimerait d’un trait de plume état civil, carte d’identité, passeport, livrets de toutes sortes, casier judiciaire, bref tout ce cauchemar de papier dont l’utilité – à supposer qu’elle existe – est sans rapport avec le travail et les vexations qu’elle coûte. Il est vrai pourtant que rarement une institution subsiste sans le consentement et même la volonté positive du grand nombre. Ainsi la peine de mort n’est pas une sanglante survivance des temps barbares ; toutes les enquêtes d’opinion publique ont prouvé que la grande majorité des gens y demeure aveuglément attachée. Quant à la paperasserie administrative, elle doit répondre à une exigence du grand nombre, ou plutôt à une peur élémentaire : la peur d’être une bête. Car vivre sans papiers, c’est vivre comme une bête. Les apatrides, les enfants adultérins ou naturels souffrent d’une situation qui n’a de réalité que de papier. Ces réflexions me donnent l’idée d’un petit apologue que je me fais. Il était une fois un homme qui avait eu une escarmouche avec la police. L’affaire terminée, il reste un dossier qui risque de resurgir à la première occasion. Notre homme décide donc de le détruire et s’introduit à cette fin dans les locaux du Quai des Orfèvres. Naturellement, il n’a ni le temps ni le moyen de retrouver son dossier. Il faut donc qu’il supprime tout le « sommier », ce qu’il fait en incendiant les locaux à l’aide d’un bidon d’essence. Ce premier exploit couronné de succès et sa conviction que les papiers sont un mal absolu dont il convient de délivrer l’humanité l’encouragent à persévérer dans cette voie. Ayant converti sa fortune en bidons d’essence, il entreprend la tournée méthodique des préfectures, mairies, commissariats, etc., incendiant tous les dossiers, tous les registres, toutes les archives, et comme il travaillait en solitaire, il était imprenable. Or voici qu’il constate un phénomène extraordinaire : dans les quartiers où il a accompli son œuvre, les gens marchent courbés vers le sol, de leurs bouches s’échappent des sons inarticulés, bref ils sont en train de se métamorphoser en bêtes. Il finit par comprendre qu’en voulant libérer l’humanité, il la ravale à un niveau bestial, parce que l’âme humaine est en papier."

      Michel TOURNIER, Le Roi des Aulnes

    • 6 mai 2015, 18:18, par Engels

      C’est juste pour dire que jadis, dans le mouvement socialiste, des anars, aux marxistes en passant par les utopistes, l’Etat n’était pas l’horizon indépassable de l’émancipation des hommes par eux-mêmes. La preuve c’est par la lutte des hommes par eux-mêmes que le prolétariat a réussi à arracher des concessions (conquêtes sociales et politiques) à l’Etat, qui n’est, intrinséquement, que la machine bureaucratique des classes dirigeantes.

      La façon dont je comprends l’article de CQFD, c’est q la centralité de l’Etat dans la société centrale, au détriment d’une vitalité des mouvements à la base. Mais c’est justement si ces mouvements sont forts à la base, et indépendamment de l’Etat qu’ils peuvent créer un rapport de force et faire en sorte que l’Etat ne soit pas le simple porte-valise des intérêts économiques. Justement CQFD prend Attali à rebours, avec ironie, et il faut être un peu malveillant pour y voir une complicité avec les idées libérales.

      Ce qui est dit, c’est qu’il y a une culture de lutte et de solidarité à réinventer, qui se fait à la base dans nos quartiers, sur nos lieux de travail, dans nos villages.

      Une dernière citation (j’en ai plein sous le coude) "La liberté consiste à transformer l’Etat, organisme qui est mis au-dessus de la société, en un organisme entièrement subordonné à elle, et même de nos jours les formes de l’Etat sont plus ou moins libres ou non libres selon que la « liberté de l’Etat » s’y trouve plus ou moins limitée." (critique du programme de Gotha)

    • 6 mai 2015, 20:04, par Julien Tewfiq

      Cher Fredy (tu permets que je t’appelle Fredy ? hein ?),

      C’est en effet le cœur de ce dossier « Faire sans l’état » que nous avons fait pour le n°131. Il serait dommage de se contenter de ne lire que l’introduction reprise ici sur pour le net. Les autres articles du dossier ne seront en ligne, eux, que dans le mois à venir.

      Par contre, dès demain, sortira en kiosque le n°132, numéro spécial 24 pages, qui revient en bonne partie sur ces questions, justement, mais vu du Kurdistan ! Avec un dossier de 8 pages de reportages... Le sommaire sera en ligne demain aussi, à la place de celui-ci, donc.

      Bon, c’est pas tout ça... Mais c’est l’heure de l’apéro.

      Cordialement,

      Julien Tewfiq

    • 6 mai 2015, 20:25, par zorglub

      Je sais pas pourquoi j’aime ce prénom de Jacques, Jacquerie, Jacquou le croquant... merci d’ avoir rectifié.

    • 6 mai 2015, 21:40

      C’est ce postulat qu’il FAUDRAIT travailler indépendamment de l’Etat que je récuse, pas dans un esprit de malveillance (ni de mauvaise foi, ni de totalitarisme, les oiseaux volent bien bas cette saison), mais parce qu’en plus d’être attalien, ce postulat est faux, et doit tout à l’air du temps, qui se traduit bien dans tous les dialectes.

      Que tu t’organises, dans ton coin avec tes copains, surtout toi qui est politiquement actif et conscient, c’est juste génial pour les « intérêts économiques » : ça leur fait un gueulard de moins à discipliner. Vas-y, construis ta propre école (que tu baptiseras « autonome », ou « alternative ») : tu ne feras pas chier les « intérêts économiques » quand ils dépèceront l’école publique. Tourne-toi vers les médecines alternatives, et dégoûte tes potes de la « médecine officielle » : ceux-ci seront moins émus quand on noiera la santé publique avec ses dernières analyses d’urine.

      Tel que te voilà parti, d’ici que tu crées une « culture de lutte » et un rapport de force avec l’Etat, , les intérêts économiques auront depuis longtemps découpé l’Etat pour le partager avec leurs potes à eux.

      Alors, nous serons dans une merde d’un type nouveau. Ceux qui auront créé leur hôpital ou leur école s’en sortiront mieux, c’est sûr. de leur côté, les prolétaires trouveront normal de payer des tas de choses qui étaient gratuites : ils appelleront ça « la liberté ».

      Alors, nous verrons fleurir les Black Panthers de toutes communautés, qui s’efforceront de sortir la leur du désespoir et de la soumission volontaire dans laquelle, lucides, ils la verront. Mais ils finiront en taule, ou dans le caniveau. Une lutte communautaire partant avec un handicap de départ, celui de ne concerner qu’une communauté et ses sympathisants, elle est vouée au beau geste héroïque et tragique. Le vrai, quoi : celui qui fait rêver, qui vient d’Amérique.

      Les faux espoirs d’essence religieuse détournent les jeunes gens bien des enjeux de leur propre existence, et nous prive ainsi de tout espoir véritable que quelque chose se passe. Alors regardez le monde, et raisonnez un peu nom de nom ! Vous battez la campagne !

    • 7 mai 2015, 15:12, par Gérard

      Tout ce débat repose en partie sur un malentendu. Ce que vous appelez « l’Etat », Jean-Pierre, vous permettez que je vous appelle Jean-Pierre ?, c’est son rôle de service public, de bien commun, de redistribution égalitaire, d’éducation et de santé publique par exemple. C’est la main gauche de l’Etat, presque indépendamment de l’Etat. Qui d’autre actuellement détricote le bien public sinon l’Etat lui-même, par ses technocrates et ses serviteurs (type Attali) sous la pression des intérêts économiques, ? De même c’est l’Etat qui a instituté le système bancaire et servi de béquille au capitalisme à l’origine. Il ne faut pas oublier sa nature profonde, avant d’être « bien public », il est avant tout pouvoir, puis territoire et administration. La force d’un mouvement social c’est de faire plier les intérêts capitalistes devant l’intérêt commun. Je ne pense pas que CQFD soit en opposition avec ce dernier point. N’oublions pas que le mouvement ouvrier a puisé une partie de sa force originelle de son séparatisme par-rapport au pouvoir politique et il s’est rendu faible en devenant cogestionnaire.

    • 7 mai 2015, 15:19

      Peut-être encore parce que les pulls Jacquard, ou parce que Jacques le fataliste. Ou peut-être parce que Jacques Attali ! Jacques Attali, les enfants, le bon dieu...et les canards sauvages ! Raoul, c’est les bourre-pifs sur fond de guimbarde, et Michel, le plus grand penseur ici bas...tellement bas qu’il bouffe les pissenlits par la racine : Michel, c’est le tonton flingué, et Jacques, le prophète fatigant ! C’est pas sorcier !

      Comme disait Pierre Desproges : la culture, c’est comme les parachutes. Quand on n’en a pas, on s’écrase !

    • 7 mai 2015, 15:44

      Ah, mais la nature de l’Etat, mon Gégé (tu permets que je t’appelle Gégé ?), il y a des gars très intelligents, dont c’est même le métier, qui ont écrit des gros volumes pour lui donner une définition, politique, philosophique, sociologique,...Alors j’ai un peu peur que tu n’y arrives pas en quelques lignes sur ce site bien-aimé. Mais j’apprécie quand même de m’éclairer sur la, disons, duplicité de l’Etat.

      Mettons que l’Etat est un enjeu, et qu’on gagnera rien à faire semblant comme s’il n’existait pas, à part devenir un peu plus américains dans nos têtes. D’un autre côté, on nous matraque pour nous convaincre qu’il ne nous appartient plus. Ça marche plutôt bien, autant que j’en juge dans les conversations, les infos et les articles des journaux de tous bords. Si on veut faire comme si c’était nous qui organise notre dépossession, c’est peut-être parce qu’on fait les malins.

    • 8 mai 2015, 17:53, par M.Pabo

      Quand un auteur de CQFD écrit un livre ou participe à une création théâtrale, il arrive sans doute qu’il bénéficie, par le biais de son éditeur ou du théâtre, de subventions. Pour autant, il ne va pas estimer que l’Etat est rentré dans sa tête, dans son livre ou son spectacle, ni refuser de mener à bien son projet - parce qu’on fait mieux « sans l’Etat ». Si ?

      Les artistes qui défendent l’« exception culturelle », et qui crient au loup ou à la Corée du Nord quand ils entendent le mot « protectionnisme », vous ne pensez pas qu’ils ne pensent qu’à leur gueule et se contrefoutent du prolo agonisant ?

    • 9 mai 2015, 11:45, par Julien Tewfiq

      Ce n’est pas tant en touchant une subvention de l’État (ou d’une mairie ou d’une autre institution) que ce dernier « rentre dans les têtes » ! C’est plutôt parce que quasiment plus personne n’imagine qu’il puisse être possible d’éditer un livre ou un journal, monter une pièce de théâtre, une librairie ou un élevage de chèvres, sans le soutien de l’État.

      Il n’y a qu’à voir la tête de certains lecteurs de CQFD quand on leur explique que non, nous ne touchons aucune subvention (à part celle concernant les envoies postaux). Il leur semble impossible de pouvoir faire un journal sans subvention ni publicité.

      L’exemple du théâtre est tout à fait révélateur de cela quand les apprentis comédiens et comédiennes ne disent plus vouloir devenir comédiens ou comédiennes mais... Intermittents du spectacle. C’est à dire que pour se reconnaitre soi-même « artiste » il faut correspondre à des critères fixés par l’État ou du moins sous son patronage. Cela ne veut pas dire que tous les intermittents sont des « suppôts de l’État » mais qu’en effet l’État est dans nos têtes, telle un évidence indépassable et indispensable.

      Une des conséquences de cet état d’esprit, pour garder l’exemple du théâtre, c’est que les comédiens et comédiennes entretiennent des relations de plus en plus individuelles (ou individualistes, même) avec leur art (et, en fait, avec leur statut d’intermittent) : chacun sa merde pour obtenir et conserver son statut, faire ses heures... au détriment d’une démarche « de compagnie » qui demande un réflexion et une organisation collective pour développer un modèle économique viable.

      Je dirais que l’État ne rentre pas dans nos têtes parce qu’il nous verserait « royalement » un RSA, une subvention ou des transports en commun gratuits ! Mais parce que nous n’imaginons même plus d’alternative ou même de dispositifs pour aller au delà de ces aides, réduits que nous sommes à nos petits moyens individuels. Et lorsque l’État se désengage, le piège se referme : nous voilà livrés aux intérêts des puissances économiques privées.

      Voilà pourquoi il y a, bien sûr, du sens à lutter contre le désengagement de l’État, de l’école, de l’aide sociale (voir les articles concernant l’Angleterre dans ce numéro !), de la santé... Mais aussi pourquoi nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, nous en contenter ! Sortir l’État de sa tête, ce n’est pas forcément renoncer à son RSA ou à sa CMU, mais refuser de s’en contenter ! Et peut-être qu’un jour nous pourrons même nous en passer ?

    • 10 mai 2015, 12:31, par M.Pabo

      Comme vous, je préfère les hommes libres et responsables d’eux-mêmes.

      Mais je crois quand même que vous vous gourez sur le fond du problème. Et j’explique. Par une expérience.

      Prenons deux de vos comédiens bénéficiant du régime des intermittents du spectacle, et branchons-les sur des électrodes capables de modifier leurs pensées (si, si, ça existe !).

      A l’un, injectons de la pensée étatique, du Kant, du Renan. Puis observons les résultats. Notre comédien A est un peu trop docile devant ses chefs peut-être, parfois passif et peu réactif. Mais il sait d’où lui viennent sa paye et ses indemnités, il a le souci du bien commun et de celui de sa troupe, et il est même capable de s’enflammer à l’évocation de Jean Vilar.

      A l’autre, injectons de la pensée libérale, du Bastiat, du Wauquiez, du Soral - et du Attali bien sûr ! Résultat : notre comédien B se prend pour un loup perdu dans la jungle, et un entrepreneur gérant son capital - d’heures, d’indemnités, de cachets. Il est fondamentalement seul, et incapable de penser le collectif. Ses restes de bohème dissimulent mal un méchant flip.

      La pensée libérale nous imprègne tous au quotidien, ce n’est même plus du matraquage, c’est du pilonnage. Et si nous nous méfions dorénavant de l’Etat, c’est parce que ce qu’il en reste nous empêche de frayer à l’aise dans cette mélasse au jour le jour. En toute cohérence libérale. Sans complexe. A l’anglo-saxonne. Ils sont tellement bien dans leurs baskets, les angliches ! Et nous tellement inhibés, sous médocs, patati-patata.

      Nous Français, traînons les pieds devant les exigences de l’OCDE et de l’UE, tellement que même Sarko, le Thatcher de chez nous, a eu du mal à les faire passer. Mais l’Etat s’en défend tellement peu ou mal, de ces exigences, que nous pouvons nous agacer de continuer à porter sur nos frêles épaules ce poids qui n’en finit pas de mourir . C’est, qu’on soit anar éprouvé, gauchiste énervé, socialo dégoûté, communiste résigné, la tentation du délestage qui nous guette. Mais une fois délesté, on ne s’envolera pas dans le ciel du tout-libéral, on sera juste un peu plus pauvre et dépendant. Et CQFD se trompe d’ennemi ! Et c’est grave, parce que CQFD, ce n’est pas rien dans ce qui nous reste de gauche.

    • 11 mai 2015, 10:32, par Ilatta

      Petite expérience à côté de l’électrode ! Ce que disais le monsieur, et l’article, et même Attali (sauf, évidemment, sur les conclusions) c’est que la pensée libéral et l’état sont pas antinomique... mais s’articulent très efficacement pour notre plus grand malheur. L’état (et l’effet de la guerre des classes sur l’état, mais pardon, quand ? Où ? Mais jamais autrement qu’à la marge !) est intrinsèquement au service du capital en ce qu’il se pose (et s’impose y compris dans les têtes) comme le seul cadre légal d’opposition aux « dérives du capitalisme, de la finance, des méchants et des voyous ». En ce qu’il atomise les peuples en masses citoyennes indifférenciées, soumises, bêlantes.

      C’est quand même un peu gros de penser qu’en « injectant de l’état » dans la tête des gens, ils seraient plus soucieux du bien commun alors que... ben l’histoire montre quand même qu’il n’en est rien ! C’est un peu comme ces tenants du capitalisme débridé qui clament sur les plateaux télé qu’il faudrait libéraliser le capitalisme pour que ça aille mieux... comme si ce n’était pas déjà le cas ! Comme si les conséquences n’étaient pas déjà là, devant nos yeux ! De même avec l’état : on sait très bien ce que ça donne !

      On en paye les conséquences tous les jours. Il serait peut-être temps de laisser tomber ces chimères : non, l’état ne rend pas plus solidaire. Non l’état ne protège pas les faibles, les pauvres, les exploités. On peut jouer l’état contre le capital, stratégiquement, ici ou là. Mais se débarrasser du capital sans se débarrasser de l’état est une vielle lubie qui n’a jamais marché.

    • 11 mai 2015, 22:19, par M.Pabo

      Dès que tu causes de tes doutes, des flopées de messieurs je -sais-tout se drapent dans leur condescendance et viennent te raconter les lois de la vie - ou de l’histoire, ou de la sociologie, ou encore de la philosophie...Ils te disent gentiment que tu as faux en tout, que tu n’as rien compris, bougre d’âne, sais-tu lire au moins ? Mais, demandes-tu, mais pourquoi s’il vous plait ? Parce que c’est comme ça, et que ça a toujours été comme ça, et que c’est donc - allons-y gaiement, lâchons le grand mot - « intrinsèque ».

      Si c’est « intrinsèque », alors là, pardon. Moi, je savais pas ce que ça voulait dire, alors je suis allé voir un dictionnaire. Et là, j’en reviens. « Intrinsèque », donc, c’est ce qui est propre et essentiel à quelque chose, indépendamment des facteurs extérieurs. Ça envoie, non ?

      « Intrinsèque » ; Un bon coup d’essence des choses, de « de tout temps », de métaphysique quoi ! Et là, c’est soudain clair qu’on peut remballer électrodes, éprouvettes, méthode expérimentale et toute le kit. Au nom du bon sens près de chez vous ET des vérités révélées. Magnifique. Intemporel aussi. Et de droite. Intrinsèquement de droite, bien sûr.

      « Intrinsèque ». Maintenant que je sais ce que ça veut dire, putain, je vais pas me priver ! Ça sonne quand même mieux que, je sais pas, « frigide », ou « pneumatique ». Ça envoie grave, je vous dis !

    • 12 mai 2015, 10:17, par Illata

      Si ça peut rendre service !

      Intrinsèquement vôtre !

    • 12 mai 2015, 17:18, par M.Pabo

      Je plaisantais. Le jargon, ça se laisse aux jargonneurs, aux pédants et à tous ces maudits bavards oiseux. Ça les trahit très tôt.

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